Le 12 mars dernier, les 950 archéologues publics grecs ont lancé un solennel appel international devant les menaces directes et pressantes qui pèsent désormais sur le patrimoine archéologique grec (voir : http://www.fabula.org/actualites/appel-international-des-archeologues-grecs-pour-soutenir-le-patrimoine-culturel-grec_50072.php; http://www.facebook.com/AssociationOfGreekArchaeologistsAgainstImfCuts; et, en grec : http://www.sea.org.gr/default.aspx). Au-delà du patrimoine de ce pays et des problèmes de son économie, cet appel nous concerne tous, pour autant qu’il peut préfigurer notre futur tel que le prévoit l’idéologie ultralibérale de la construction européenne, qui continue à s’imposer comme une évidence malgré la démonstration par l’absurde que nous offre tous les jours la crise financière internationale.
La mainmise financière occidentale sur la Grèce est une vieille tradition historique. Les puissances européennes, qui procédèrent tout au long des deux siècles précédents et jusqu’à nos jours à la « balkanisation » des pays balkaniques au fur et à mesure de l’effondrement de l’Empire ottoman et qui se répartissaient leur tutelle, n’hésitaient pas à envoyer leurs canonnières dans le port du Pirée pour recouvrer leur argent obligeamment prêté. On consultera par exemple utilement le livre de Sophie Basch, Le Mirage Grec. La Grèce moderne devant l’opinion française depuis la création de l’Ecole d’Athènes jusqu’à la guerre civile grecque (1846-1946), Librairie Kaufmann & Hatier, Athènes, 1995. On objectera que les gouvernements grecs précédents avaient truqué les comptes (curieusement, tant qu’ils ont été conservateurs, nul ne s’en est alarmé), que les professions libérales grecques se font payer en liquide et qu’il n’y a pas de cadastre pour gérer l’impôt foncier. On rappellera aussi que la puissante église orthodoxe ne paie aucun impôt, même si elle gère quelques œuvres caritatives, ce qui ne semble guère gêner non plus les créanciers internationaux. On remarquera qu’une part importante du budget grec est consacré à des achats d’armes aux entreprises françaises et allemandes, achats qui ne sont guère remis en cause par les gouvernements qui en profitent ; et que la législation internationale permet aux armateurs grecs de mettre paisiblement à l’abri leurs fortunes navales.
On sait que les mesures d’austérité drastiques mises en œuvre par la « troïka » (FMI, Union européenne, Banque centrale européenne) sont au mieux schizophréniques et stupides, au pire froidement cyniques, puisqu’elles prétendent à la fois baisser salaires et retraites et exiger que l’argent rentre dans les caisses de l’Etat. On sait aussi qu’aucune des mesures imposées ne constitue un « plan de sauvetage » économique et social global, mais juste un plan de sauvetage des créanciers dans l’immédiat, pour des sommes qui restent minimes, sinon dérisoires, au regard de ce qui s’échange quotidiennement dans le monde. L’intérêt financier à court terme, mais aussi l’idéologie, sinon la volonté de punir semblent en être les seuls moteurs. Parmi les nombreux appels collectifs en ce sens, on retiendra celui lancé par des universitaires grecs (http://www.koindim.eu/fr/) ainsi que celui émanant d’intellectuels français paru dans Libération le 21 févier 2012 : « Sauvons le peuple grec de ses sauveurs » (http://www.editions-lignes.com/sauvons-le-peuple-grec-de-ses.html?var_confirm=Hpo4BLag#sp342).
Pour revenir au cas du patrimoine archéologique, qui nous concerne plus particulièrement ici, on relèvera d’une part une série de mesures qui constituent une démolition pure et simple du service public grec de l’archéologie : compression en 2012 de personnels (dont les salaires nets oscillent entre 670 € en début de carrière, et 1550 € en fin de carrière) de 30 à 50%, s’ajoutant aux départs en retraite forcés en 2011 des 10% les plus qualifiés ; réduction de 35 % en 2011 du budget du service archéologique, qui n’a plus été que de 12 millions d’euros et doit être encore réduit en 2012.
Mais le pire est évidemment à venir. La « troïka » a imposé la privatisation et la vente au rabais de la plupart des services publics. C’est quand la victime est à terre qu’il est plus facile de lui faire les poches. Et l’archéologie ? N’importe quel « expert » économiste, même le plus inculte, sait qu’il y a de l’archéologie en Grèce et que le tourisme est l’une des ressources économiques principales de ce pays. Les projets qui s’élaborent suggèrent donc de privatiser les sites archéologiques grecs, du moins ceux que l’on visite. Utopique ? En 2003, le ministère de Jean-Jacques Aillagon (devenu depuis son éviction de Versailles un ferme soutien du candidat socialiste à la présidentielle) avait entrepris de confier la gestion de nombreux sites et monuments historiques de l’Etat à une entreprise privée de gestion culturelle. Il avait dû y renoncer devant l’opposition de ses personnels, entre autres. On constate d’ailleurs les tarifs (logiquement) très élevés et les prestations (logiquement) modestes proposés par cette entreprise, là où elle exerce en France. Quant à l’archéologie préventive en Grèce, elle se pratiquerait désormais, là où les aménageurs voudraient bien payer, par l’entremise d’entreprises privées, grecques ou étrangères, se partageant le marché, hors évidemment de toute exigence et de tout rendu scientifique.
Exotique, la situation grecque ? Ou bien terrain d’expérience à étendre ?
Le 16 et 17 mars dernier se tenait à Paris la réunion annuelle du Europae Archaeologiae Consilium (EAC), qui fédère les services archéologiques nationaux de l’ensemble des pays européens sous l’égide du Conseil de l’Europe, et où l’Inrap a rang d’observateur. A la question des journalistes sur l’appel des archéologues grecs, le représentant du ministère français de la Culture fit savoir qu’il n’avait rien à dire.
*
* *
Et puisque nous avons eu la chance de réussir à créer puis à sauver l’Inrap, réjouissons nous encore qu’il ait déjà atteint son dixième anniversaire, et rappelons les deux volumes sortis à cette occasion : celui de Cyril Marcigny et Daphné Bétard, La France racontée par les archéologues – Fouilles et découvertes au XXIe siècle, qui vient de paraître chez Gallimard ; et le numéro spécial d’Archéopages, la revue de l’Inrap, 204 pages consacrées aux « Nouveaux champs de la recherche archéologique » qui s’ouvre d’ailleurs sur un débat entre le nouveau et l’ancien président de l’Inrap sur « la vocation scientifique de l’Inrap ».
Et je rappelle enfin pour mémoire les émissions ou articles consacrés à mon dernier livre : On a retrouvé l’histoire de France – Comment l’archéologie raconte notre passé (Robert Laffont, mars 2012), où il est question non seulement de tessons néolithiques et de Gaulois, mais aussi d’identité nationale et des origines du pouvoir :
– « La Tête au Carré » sur France Inter, le 15 mars de 14h à 15h.
– « Down Town » sur France Inter, le 2 avril de 18h30 à 19h.
– « Autour de la question » sur Radio France International, le 5 avril de 11h à 12h.
– « Le Salon Noir » sur France Culture le 11 avril de 14h30 à 15h.
– « Les Saventuriers » sur France Inter, le 15 avril de minuit à 1 heure.
– « Dans quelle étagère » sur France 2, les 16 et 17 avril.
– Le Nouvel Observateur du 22 mars
– Libération, du 31 mars
– L’Actualité (Montréal), début avril