Alésia ou la « défaite fondatrice »

Il y a un an, le Président de la République française prononçait au Puy un discours sur l’histoire et l’archéologie de la France (cf. sur ce blog : http://jeanpauldemoule.wordpress.com/2011/03/24/l%E2%80%99histoire-la-france-et-l%E2%80%99archeologie-quand-les-presidents-de-la-republique-francaise-s%E2%80%99y-interessent/). Il y évoquait en particulier « la naissance de la France », qu’il datait du baptême de Clovis. On se souvient peut-être que le tout premier rapport sur le projet d’une « Maison de l’Histoire de France », dû au conservateur du patrimoine Hervé Lemoine, avait hésité entre trois dates pour commencer la France : Alésia et Vercingétorix, si l’on se référait à «  la vision républicaine » ; le baptême de Clovis, dans « la tradition monarchiste et catholique » ; ou enfin le partage de l’empire de Charlemagne, vision « qui prévaut actuellement » et qui fait « dire à certains, symboliquement, que la France s’était faite de Verdun (843) à Verdun (1916) ». En fait, dans ses derniers développements , ce projet semble désormais englober l’histoire de toutes les sociétés humaines qui se sont succédées sur notre territoire depuis les périodes les plus anciennes. Quant à l’ambitieuse Histoire de France dont les éditions Belin ont tout récemment entrepris la publication, son premier volume commence à la date de 481 (et jusqu’en 888), mais s’intitule néanmoins La France avant la France.

Le 22 mars dernier, date anniversaire d’un autre événement important de l’histoire de France, le Premier Ministre prononçait un discours à l’occasion de l’ouverture de l’important centre d’interprétation, ou « MuséoParc », du site d’Alésia, un projet lancé il y a déjà plusieurs années et qui aboutissait enfin : http://www.gouvernement.fr/premier-ministre/discours-du-premier-ministre-lors-de-l-inauguration-du-centre-d-interpretation-du-m. On ne pourrait que se réjouir, en tant qu’archéologue, que le chef du gouvernement français apporte ainsi sa caution à une entreprise à la fois scientifique et pédagogique. Se réjouir de cette prise en compte officielle de l’histoire et de l’archéologie de la France, alors que nous avons si souvent dû subir ces dernières années les affirmations péremptoires d’hommes politiques ou de hauts fonctionnaires hostiles à l’archéologie préventive et lui déniant tout intérêt et toute légitimité.

Toutefois, il vaut de lire ce discours, non seulement en tant que citoyen, mais aussi comme un historien, attentif à la façon dont s’articulent le récit national et une certaine vision politique d’une part,  et les acquis récents de la recherche archéologique d’autre part. De le lire, non seulement comme un document, mais comme un symptôme, même en tenant compte de deux événements contingents qui interfèrent dans sa rhétorique, la tuerie sanglante de Toulouse et Montauban, et l’actuelle campagne présidentielle – interférence qui ne manque pas d’ailleurs de produire un malaise certain.

Symptôme en premier lieu des difficultés d’accorder construction mythique et faits historiques. Cela s’était déjà exprimé lors de la commémoration du baptême de Clovis en 1996 et de la mise en place du « Comité pour la commémoration des origines : de la Gaule à la France », lequel regroupait historiens et dignitaires religieux pour célébrer, non seulement ledit baptême mais aussi, bizarrement, le 1600ème anniversaire de la mort de Saint Martin (celui du manteau). Le Premier Ministre d’alors, Alain Juppé, prenant acte des doutes et surtout des débats sur l’interprétation historique dudit baptême, avait à cette occasion affirmé que l’événement, certes « controversé », n’en était  « pas moins fondateur de l’identité française » : « ce que nous commémorons, c’est moins l’événement en lui-même que l’utilisation qui en a été faite au cours des siècles pour asseoir la légitimité des rois de France et conforter le sentiment national ».

Son successeur déclare de même à propos d’Alésia, dans le passage central de son discours (avant de glisser d’Alésia à Toulouse) :

« Alésia est devenu une légende. ”Les pays qui n’ont plus de légende seront condamnés à mourir de froid”, écrivait Patrice de la Tour du Pin. […] Une nation se forge par son Histoire, mais aussi en orchestrant son Histoire. Et cette Histoire est faite de réalités objectives et de mythes que s’approprient les peuples. […] On peut être frappé que ce mythe soit celui d’une défaite. Mais il est des défaites fondatrices, et la nation française trouve dans ce mythe d’Alésia l’image de l’adversité qui l’a si souvent frappée, et dont elle s’est toujours relevée par l’esprit de résistance qui l’anime. […] A Alésia, il y a plus de 2000 ans, des peuples de Gaule étaient vaincus, leur chef déposait les armes aux pieds du vainqueur. […] Surmontant ses déchirements, surmontant les coups durs, la France s’est faite, la France s’est rassemblée, et nous sommes là ensemble, résistants à ceux qui voudraient nous opposer. […] En ce lieu chargé d’Histoire, j’invite les Français à regarder leur passé avec fierté, avec déférence, avec lucidité. […] La France vient de loin, et il me plaît de penser que nous sommes tous un peu gaulois : indisciplinés, téméraires, capables de vouloir l’impossible et d’y arriver pourtant ».

En ce lieu qui a vu pendant plusieurs années se mener les recherches archéologiques de pointe d’une équipe internationale, on reste frappé de ce que la vision des Gaulois ne semble pas avoir bougé depuis plus d’un siècle. On sait désormais, depuis les travaux de Christian Goudineau, que Vercingétorix n’a jamais déposé ses armes au pied du vainqueur, mais qu’il a été simplement livré (« deditur »), et que c’est l’ensemble des armes des défenseurs qui ont dû être jetées du haut des remparts. On sait que la fameuse « indiscipline » des Gaulois est la traduction anachronique d’un fait historique : la Gaule ne présentait aucune unité politique ou même culturelle, mais une soixantaine d’Etats indépendants se répartissaient son territoire, fréquemment en guerre les uns contre les autres, ne serait-ce que pour se procurer des esclaves afin d’alimenter le commerce avec Rome.

Il est étrange de plaider pour une histoire mythique alors que c’est au nom de mythes qu’ont été accomplis les pires massacres de l’histoire. Historiens et archéologues n’ont pas pour fonction d’alimenter une mythologie nationale, mais au contraire de permettre, par une réflexion précise et informée, de réfléchir sur les trajectoires historiques des nations et d’éclairer le passé comme l’avenir. Il est vrai que les Gaulois, et tous les millénaires qui les ont précédés, ne sont plus enseignés qu’à l’école primaire, tandis que l’histoire comme matière vient de disparaître des classes terminales scientifiques.

On peut aussi s’étonner du thème de la défaite régénératrice, largement exploitée par le régime de Vichy, pour lequel le Premier Ministre n’est pourtant pas soupçonnable d’inclinaisons. Mais en outre, il eut valu que l’on s’interroge un peu plus sur cette histoire de France construite sur une succession de défaites : les Gaulois par les Romains, les Gallo-Romains par les Francs, les Francs par leur disparition culturelle et linguistique au sein de la population conquise. Ces défaites plus ou moins refoulées qui sont certainement l’une des raisons de la non légitimité, aux yeux des élites politiques, de l’archéologie, préventive surtout, de notre territoire national.

Bref, si l’archéologie et l’histoire commencent depuis quelque temps à être présentes dans le discours politique, après tant d’années d’omissions et de dénégations, il semble qu’elles demandent encore à être maniées avec un plus de pertinence et d’exactitude.

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Rappelons à ce sujet les deux volumes sortis à l’occasion des dix ans de l’Inrap : celui de Cyril Marcigny et Daphné Bétard, La France racontée par les archéologues – Fouilles et découvertes au XXIe siècle, qui vient de paraître chez Gallimard ; et le numéro spécial d’Archéopages, la revue de l’Inrap, consacré aux « Nouveaux champs de la recherche archéologique » et qui s’ouvre d’ailleurs sur un débat entre le nouveau et l’ancien président de l’Inrap quant à « la vocation scientifique de l’Inrap ».

Et je rappelle enfin pour mémoire les émissions ou articles consacrés à mon dernier livre : On a retrouvé l’histoire de France – Comment l’archéologie raconte notre passé (Robert Laffont, mars 2012), où il est question non seulement des Romains et des Gaulois, mais aussi d’identité nationale et des origines du pouvoir :

–       « La Tête au Carré » sur France Inter, le 15 mars de 14h à 15h.

–       « Down Town » sur France Inter, le 2 avril de 18h30 à 19h.

–       « Autour de la question » sur Radio France International, le 5 avril de 11h à 12h.

–       « La Nouvelle Edition » de Canal Plus, le 5 avril de 12h30 à 12h40.

–       « Le Salon Noir » sur France Culture le 11 avril de 14h30 à 15h.

–       « Les Saventuriers » sur France Inter, le 15 avril de minuit à 1 heure.

–       « Dans quelle étagère » sur France 2, les 16 et 17 avril.

–       Le Nouvel Observateur du 22 mars

–       Libération, du 31 mars : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2012/04/larch%C3%A9ologie-a-retrouv%C3%A9-lhistoire-de-france.html

–       Science et Avenir, du mois d’avril

–       Le site internet de France Télévisions : http://www.francetv.fr/culturebox/lhistoire-de-la-france-revisitee-par-larcheologie-89081

–       Sud-Ouest Dimanche, en avril

–       L’Actualité (Montréal, bimensuel), en mai

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