En ces temps pessimistes, l’Histoire ne cesse d’être requise dans les médias et dans les discours politiques. On se souvient comment la « Fin de l’histoire » avait été annoncée à grand fracas au moment de la Chute du Mur de Berlin par l’idéologue conservateur américain Francis Fukuyama, usant du détournement d’un concept à l’origine hégélien : après la disparition du communisme d’État, le libéralisme économique et la démocratie (dans sa version occidentale) étaient voués à régner indéfiniment sur le monde. Mais la première guerre d’Iraq intervint juste après, et un autre idéologue, américain lui aussi, Samuel Huntington, annonça au contraire en 1996 un « Choc des civilisations » (« The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order »), théorie à laquelle la seconde guerre d’Iraq et l’invasion de l’Afghanistan après le 11 septembre 2001 auraient donné a posteriori un sens, mais pas forcément celui qui était prévu. Le développement depuis lors de mouvements islamistes terroristes et l’actuelle crise des réfugiés venus d’Afrique et du Proche-Orient ont rendu plus paroxystiques encore ces références historiques et leurs manipulations, opposant « civilisation » (sous-entendue occidentale) et « barbares » – et si « barbares » il y a, les plus mécaniquement connus d’entre eux sont bien sûr ceux des « Invasions barbares » qui mirent fin au monde antique.
Les barbares sont dans nos murs
Ainsi la présidente du Front national français déclarait-elle dans une réunion publique à Arcachon le 14 septembre 2015 : « Sans nulle action de la part du peuple français, l’invasion migratoire que nous subissons n’aura rien à envier à celle du IVe siècle et aura peut-être les mêmes conséquences ». Elle précisait cette référence historique (peut-être après consultation de son service de communication) dès le lendemain matin sur la radio France Inter : « J’ai dit – je n’ai pas d’ailleurs comparé [sic] – que nous pourrions assister dans les années qui viennent à l’équivalent des invasions vécues au IVe siècle, c’est-à-dire ces gigantesques mouvements migratoires, qui n’étaient pas en réalité des invasions au départ, mais qui étaient des installations. Voilà. Et je pense que gouverner c’est prévoir ».
Sa nièce, la députée Marion Maréchal-Le Pen, avait invoqué une actuelle « guerre de civilisation » dans un entretien au journal Présent (du 15 janvier 2015) ; et affirmé le 5 juillet dernier, dans une réunion publique au Pontet (Vaucluse), dont le nouveau maire appartient à son parti : « La Provence est une terre d’identité et de résistance. Résistance des princes provençaux face à l’invasion sarrasine, résistance face à la terreur révolutionnaire, face à la réforme protestante, face à l’occupant allemand, face au funeste projet de l’Union européenne en 2005. ». Elle devait d’ailleurs s’en excuser peu après auprès des autorités protestantes, arguant de ses propres origines partiellement protestantes.
Ces comparaisons avec les barbares d’antan n’étaient pas nouvelles. On la trouvait déjà quelques mois auparavant – comme je l’ai évoqué dans un texte précédent – dans la bouche de l’essayiste et nouvel académicien Alain Finkielkraut : entre ces fameuses « invasions barbares » du Haut Moyen Âge et les immigrations des dernières décennies, l’identité française serait restée intacte et inchangée. Les « quarante rois » ou les « quinze siècles » qui auraient « fait la France » maintes fois invoqués par nos dirigeants, du général de Gaulle à Nicolas Sarkozy, seraient un fait historique.
Qu’est-ce que la France ?
On le sait, l’histoire réelle est toute autre. À la fois parce que la « France » du Haut Moyen Âge n’existait pas en tant que telle, que le royaume franc de Clovis avait peu à voir avec les frontières françaises actuelles (la Bretagne et tout le quart sud-est en moins ; la Belgique et l’Allemagne du sud-ouest en plus), et qu’il faut attendre la fin du Moyen Âge pour que les frontières de « la France » commencent à ressembler un peu aux actuelles, encore qu’il y manquait, entre autres, toute la partie orientale – Lorraine, Alsace, Savoie, comté de Nice, Corse. Une large partie de cet actuel territoire n’est en outre que le résultat de conquêtes sur des populations parlant des langues bien différentes du « français », et donc d’une « identité » et d’une culture différentes – Occitanie, Catalogne, Pays basque, Bretagne, Alsace et Moselle, Flandres, Corse.
Symétriquement, des migrants n’ont cessé d’arriver de l’extérieur et de se mélanger dans ledit territoire depuis les fameuses « invasions barbares » du 4ème siècle : Bretons, Arabes et Vikings au cours du premier millénaire, Anglais à partir du 14ème siècle, tout comme Tziganes ou Roms, Juifs réfugiés d’Espagne puis Morisques aux 15ème et 16ème siècles, sans compter toutes les cours qui accompagnèrent les reines de France étrangères (d’Italie, d’Espagne, d’Autriche, de Pologne …) et surtout les mercenaires qui aux 17ème et 18ème siècles composaient au moins un quart des armées royales. Puis vinrent aux 19ème et 20ème siècles les travailleurs de l’industrie, italiens, belges, espagnols, portugais, polonais ; tout comme les réfugiés politiques fuyant les persécutions, au 19ème siècle d’abord, puis au 20ème siècle : Arméniens rescapés du génocide de Turquie, Russes Blancs, Juifs d’Europe orientale fuyant les pogroms, Républicains espagnols, allemands, italiens – la frontière entre réfugiés « politiques » et « économiques » restant bien souvent ténue.
À cela se sont ajoutés les mouvements dans l’autre sens : les protestants réfugiés en Angleterre et en Allemagne après la révocation de l’Édit de Nantes, et tous les colons partis de métropole vers l’Amérique du Nord et l’Inde dans le premier empire colonial français, en attendant évidemment le second empire colonial, commencé avec la conquête de l’Algérie de 1830 et parachevé par la Troisième République.
On le voit, il faut beaucoup ignorer l’histoire, ou beaucoup tenter de la manipuler, pour prétendre que les immigrations nord-africaines du dernier demi-siècle, « politiques » ou économiques », représenteraient un événement sans précédent, prélude à un « grand remplacement » dans une « France » inchangée depuis quinze siècles. Ces comparaisons hasardeuses sont d’autant plus surprenantes que, par exemple, le dernier recueil d’Alain Finkielkraut invoquait par son titre, emprunté à Charles Péguy, « La seule exactitude ». Et que précisément il s’y oppose, au nom de l’ « exactitude » historique et du « réel », aux comparaisons entre l’actuelle montée des mouvements d’extrême droite partout en Europe et le même phénomène pendant les années trente ; et, plus insupportable encore pour lui, la comparaison entre le rôle de boucs émissaires que jouaient les Juifs dans la phraséologie (avant passage à l’acte) des mouvements fascistes européens d’avant-guerre, et le rôle de boucs émissaires que jouent les immigrés dans la phraséologie actuelle des héritiers de ces mouvements.
C’est ce même souci d’ « exactitude » historique qui aura permis au nouvel académicien de faire, comme le veut la coutume sous la Coupole, l’éloge de son prédécesseur, Félicien Marceau, pseudonyme de Louis Carette, condamné en Belgique pour collaboration avec le nazisme et écrits antisémites, et dont l’élection en 1975 provoqua la démission de l’académie du poète résistant Pierre Emmanuel.
Quant aux comparaisons, on trouvera sans peine, par exemple, des invectives adressées dès la fin du 19ème siècle à l’encontre des travailleurs immigrés italiens (il y eut des massacres, comme à Aigues-Mortes en 1893), parfaitement superposables à celles qui fleurissent quotidiennement sur les immigrés d’Afrique du nord.
Lumpenproletariat
Les assassins manipulés qui ont commis les crimes de masse du 13 novembre 2015 à Paris sont-ils pour autant des « barbares », au sens historique du terme ? Et leurs crimes seraient-ils sans équivalent dans l’histoire ? Faut-il rappeler que les pires massacres et viols commis en Europe depuis la fin de la dernière guerre mondiale, relevant tant du crime contre l’humanité que du crime de guerre, et du crime tout court, l’ont été par des « chrétiens » « blancs », serbes et dans une moindre mesure croates, contre d’autres « chrétiens », mais surtout contre des « musulmans » ? – les guillemets n’ayant ici pour fonction que de disjoindre tradition culturelle et pratique religieuse.
À ce moment là, tout comme aujourd’hui, les victimes n’avaient et n’ont pas le même poids, ni ne reçoivent les mêmes témoignages de solidarité selon le pays où elles sont assassinées. Et, dans la Yougoslavie des années 1990 comme dans la France de 2015, les religions monothéistes sont aussi l’habillage idéologique visible des luttes de pouvoir et des luttes sociales. Les criminels de 2015 semblent bien relever d’une étrange alliance, sous couvert d’une déviation religieuse aberrante – mais toute religion n’est-elle pas d’abord, pour reprendre Freud, une névrose, encore que l’on ait ici plutôt affaire à des comportements psychotiques – alliance pathologique, donc, entre les luttes de pouvoir au Moyen-Orient et le ressentiment social de populations défavorisées, ex-colonisées, de l’Europe occidentale.
Une alliance monstrueuse où ce qui ressemble beaucoup à une insurrection sociale embryonnaire est passée, en dix ans, de l’incendie massif de voitures dans les quartiers pauvres, comme on l’a vu en 2005, à l’assassinat à bout portant de jeunes gens du même âge, appartenant aux classes sociales intermédiaires. Une insurrection sociale qui se trompe de cible, à la fois manipulée et réactionnaire, loin de toute revendication politique organisée et cohérente, bref typique à toutes époques des mouvements de ce que l’on peut continuer à appeler avec pertinence le « Lumpenproletariat ».
S’y ajoute sans doute l’effet de déréalité que confère la « société du spectacle », où les écrans – informations du monde ou jeux vidéos – ont remplacé la participation directe au monde réel, qu’aucune frontière nette ne sépare plus du monde virtuel, pas plus que le mal ne l’est du bien. Et s’y ajoute enfin, de la part de ceux qui manipulent les assassins, un sens certain de la communication moderne, sinon postmoderne, parfaitement contradictoire avec leur prétendu retour au sources d’un Islam médiéval fantasmé.
Les « invasions barbares » ont-elles existé ?
Mais revenons à l’histoire, à nos barbares historiques et à la « civilisation ». Ce dernier terme, qui émerge à l’époque les Lumières, est utilisé sous un sens laudatif dans toutes les classifications évolutionnistes, qui distinguent, comme Lewis Morgan repris par Friedrich Engels, les trois stades successifs de la « sauvagerie » (les chasseurs-cueilleurs du paléolithique), de la « barbarie » (les agriculteurs néolithiques et les sociétés à chefferie) et enfin de la « civilisation » (successivement antique, médiévale et moderne). Au 19ème siècle, la préférence allemande pour le mot « Kultur » influencera en retour la langue française, qui hésitera dorénavant entre « culture » et « civilisation » pour désigner aussi bien des sociétés précises que LA civilisation tout court (c’est à dire plus ou moins la nôtre). D’où les fluctuations, comme pour le titre du célèbre ouvrage de Freud de 1930, Das Unbehagen in der Kultur, traduit tantôt par « Malaise dans la culture » – tantôt par « … dans la civilisation ».
Si bien qu’il y a désormais une constante confusion, plus ou moins implicite, entre LA civilisation, comprise comme le plus haut degré d’achèvement de l’histoire humaine, et LES civilisations, dans le sens large d’un type de société. On se souvient des déclarations remarquées du ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, affirmant quelques semaines avant l’élection présidentielle de 2012 que « toutes les civilisations ne se valent pas ». Il fut soutenu, dans la polémique, par le président de la République qui n’y vit que « du bon sens ». Dans les medias occidentaux des débuts de l’année 2016, le « choc des civilisations » est devenu un terme d’emploi banal.
Mais l’ambigüité existe aussi chez les historiens. Bryan Ward-Perkins, un historien anglais, intitula son livre de 2005 The Fall of Rome and the End of Civilization, néanmoins traduit en 2014 en français sous le titre moins péremptoire de : La chute de Rome : Fin d’une civilisation. De même, le livre très médiatisé (et abondamment primé aux Etats-Unis) d’Eric Cline proclamait 1177B.C. : The Year civilization collapsed – ce qui fut traduit l’année suivante en 2015 par : 1177avant J.-C., le jour où la civilisation s’est effondrée. D’un point de vue historique, certes les archéologues ne trouvent plus après cette date de palais, de fresques, de masques en or ou de tablettes inscrites et parlent, déçus, d’Âges Sombres (Dark Ages). Mais, comme après l’effondrement de la civilisation de l’Indus ou des Mayas, ce sont toujours les mêmes communautés villageoises qui subsistent sur place, simplement sans la couche dirigeante qui vivait de leur exploitation. C’est pourquoi un autre livre très populaire, celui de Jared Diamond, Effondrements, comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie (2005), fut contesté dès l’année suivant sa parution lors d’un colloque d’archéologues : Questionning Collapse. Human Resilience, Ecological Vulnerability, and the Aftermath of Empire (publié en 2010 sous la direction de Patricia McAnany et Norman Yoffee).
De fait les « barbares » n’ont pas toujours été regardés de la même façon. Tacite avait fait des Germains de « bons sauvages », qu’il opposait aux mœurs dissolues de sa Rome antique. Le Moyen Âge a été sévère à leur égard et créa la légende de ces « fléaux de Dieu » ; mais cette époque fut à son tour « barbarisée » à l’âge classique, qui traita son art de « gothique », c’est-à-dire « digne des Goths », cependant que la noblesse d’Ancien Régime se réclamait d’une ascendance franque, et donc barbare. La Révolution, avec l’abbé Siéyès lui rendit la politesse en invitant ces « sauvages sortis des bois et des étangs de l’ancienne Germanie » à retourner là d’où ils venaient – ce que beaucoup firent, avant de revenir dans les fourgons de la Restauration. Le romantisme allemand au contraire, prenant Tacite au mot, réhabilita les barbares dont le sang neuf et viril aurait eu raison de la décadence romaine. Eric Michaud vient de montrer, dans un livre passionnant, « Les invasions barbares – une généalogie de l’histoire de l’art », comment l’histoire de l’art se construisit en 19ème siècle sur une telle réhabilitation.
Mais vient la Troisième République, née d’une défaite contre l’Allemagne, dont la victoire permit l’unification presque complète. Dans la construction du roman national français que va diffuser la toute nouvelle école publique, les barbares redeviennent barbares, et vont le rester durablement. Les pages des manuels scolaires illustrent en images éloquentes les hordes sauvages déferlant sur notre pays. Il faut aussi se tirer d’un douloureux paradoxe : les Francs, qui ont donné son nom à la France, à sa langue et à sa monnaie, sont des Germains. On tâche de gommer cette germanité des débuts de l’histoire officielle, tantôt en barbarisant les « rois fainéants » mérovingiens, tantôt en francisant ce qui pouvait être sauvé : Karl des Grosse devient Charlemagne, et Aachen Aix la Chapelle. Et l’on voit dans l’art roman une résurrection de l’art celtique, après une regrettable parenthèse barbare.
L’archéologie et les barbares
On en était là depuis un siècle quand, avec le développement de l’archéologie préventive durant les trois dernières décennies, le tableau changea radicalement – grâce aussi à une relecture critique des sources historiques qu’illustrent les travaux de Bruno Dumézil en France, de Walter Pohl en Autriche ou encore de Florint Curta aux Etats-Unis. L’archéologie ne témoigne en effet d’aucun cataclysme généralisé, dans lequel aurait péri, sous les coups des barbares, tout le monde civilisé. Si le style des objets se transforme, comme il se transformait dans le passé, les campagnes, leurs fermes et leurs grands domaines continuent d’être occupés. Les villes tout autant, même si elles diminuent parfois en taille, construisent ou renforcent leurs fortifications, indices de temps moins calmes que sous l’empire, et si les archéologues y rencontrent d’épaisses couches de terres organiques, les fameuses « terres noires », laissées par des zones non construites, ou construites en matériaux légers, ou encore vouées au rejet de détritus.
Les « barbares », on le sait, ne voulaient nullement détruire l’Empire, mais au contraire s’y intégrer, même s’il y eut parfois des mouvements violents, qu’il faut néanmoins relativiser. Les rois barbares se faisaient représenter en empereurs romains, Charlemagne compris, et tous les barbares se convertirent au christianisme, dans ses différentes variantes d’alors. La grande bataille des Champs Catalauniques où furent repoussées en 451 les armées d’Attila, officiellement emblématique du combat des forces du Bien contre le Fléau de Dieu, opposait en réalité deux coalitions de peuples germaniques, au gré de ralliements de circonstances. Un peu comme une autre bataille emblématique, celle du Champ des Merles à Kosovo Polje en 1389, qui vit les troupes du Sultan Bajazet prendre, face à l’armée serbe du prince Lazare, le contrôle des Balkans pour cinq siècles : elle opposait également deux coalitions, l’armée ottomane incluant des princes vassaux chrétiens, serbes et bulgares.
Et si l’on invoque les « racines chrétiennes de l’Europe », c’est précisément dans l’Europe barbare que ces racines s’enracinent.
Pourtant, la référence aux « invasions barbares » est omniprésente ces temps-ci. La dernière livraison du « Figaro Histoire » le confirme. Cette revue bimestrielle fondée en 2012 est dirigée par le journaliste Michel de Jaeghere, venu de la presse de l’extrême droite policée, successivement Valeurs Actuelles puis Spectacle du Monde, dont il a été directeur. On lui doit plusieurs livres, dont Le Livre blanc de l’armée française en Algérie (2002 : livre collectif destiné à réhabiliter le rôle civilisateur de notre armée pendant la guerre d’Algérie) ; Enquête sur la christianophobie (2005) ; La Repentance : Histoire d’une manipulation (2007). Et il vient justement de faire paraître aux Belles Lettres : Les derniers jours – La fin de l’empire romain d’Occident. C’est sur la base de ce livre que ce numéro du Figaro Histoire se consacre au thème : « Quand les Barbares envahissaient l’Empire romain », avec des sous-titres explicites en couverture : « Les barbares sont dans les murs » et « comment meurt une civilisation ». Toutes ces transparentes allusions à la présente situation géopolitique ne sont évidemment qu’au prix de singulières déformations de l’histoire. On pourra lire, en symétrique, le numéro spécial des Cahiers de Science et Vie qui, toujours sur les « invasions barbares », propose cette fois un dossier objectif et accessible. C’est possible.
Et sur les migrations dans l’histoire, des origines à nos jours, le colloque de l’Inrap qui leur a été consacré en novembre 2015 en collaboration avec la Cité de l’Immigration peut être suivi sur internet.
Les « races » dans l’histoire
Une ultime remarque historiographique, cette fois à propos des « races », puisqu’une polémique sur la « race blanche » a occupé, faute de mieux, pendant quelques semaines l’actualité médiatique, à la suite des déclarations de la députée européenne Nadine Morano, ancienne secrétaire d’État chargée de la Famille et de la Solidarité. Rappelant que la nation française était « de race blanche », elle se fondait non sans raison sur une déclaration du général de Gaulle, icône nationale. Ce dernier aurait confié à Alain Peyrefitte, qui fut ministre de l’Information et académicien : « Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne » – ce qui prouve incidemment que la locution désabusée « quand même », qui rythme de nos jours presque toute déclaration publique ou privée, n’est pas si récente.
Maints journalistes se sont contorsionnés, afin de sauver la mémoire du grand homme, en expliquant, soit que Peyrefitte aurait brodé, soit que le général aurait voulu dire autre chose. Il avait écrit pourtant bien avant, dans ses Mémoires d’espoir, à propos de l’Europe : « Pour moi j’ai, de tous temps, mais aujourd’hui plus que jamais, ressenti ce qu’ont en commun les nations qui la peuplent. Toutes étant de même race blanche, de même origine chrétienne, de même manière de vivre, liées entre elles depuis toujours par d’innombrables relations de pensée, d’art, de science, de politique, de commerce, il est conforme à leur nature qu’elles en viennent à former un tout, ayant au milieu du monde son caractère et son organisation ».
La « race » au sens moderne ne date que de la fin du 18ème siècle, quand les savants naturalistes comme Linné ou Blumenbach entreprennent de classer plantes, animaux, minéraux – et humains. L’anthropologie physique à prétention scientifique ne date, elle, que du milieu du 19ème siècle. Paul Broca, le grand médecin progressiste à qui l’on doit notre « zone de Broca », partie de notre cerveau qui nous permet de parler, la définissait comme « l’étude scientifique des races humaines », races par nature inégale. Leur définition reposait sur la mesure des crânes. Or, plus on mesurait de crânes (et jusqu’à 5.000 mesures sur un même crâne), plus les frontières entre groupes humains s’effaçaient – évidemment. Si bien qu’à la fin du 19ème siècle, l’un des principaux disciples de Broca, Paul Topinard, pouvait affirmer : « La race n’existe pas dans l’espèce humaine, […] elle est un produit de notre imagination et non une réalité brute, palpable ». Dès lors, la notion de « race » sortit progressivement du champ scientifique, même si elle survécut en France, avec l’école d’Henri-Victor Vallois, plus longtemps qu’ailleurs.
Mais en tant que terme idéologique, appuyé sur la fausse évidence du sens commun, elle continua, on le voit, une carrière prospère. Le président même de l’Académie des Sciences, Emmanuel Leclainche, pouvait ironiser en 1937 : « Il est entendu que pour les savants, il n’y a plus de races humaines. Mais, malheureusement ou heureusement, il n’est point que des savants sur terre. La masse des ignorants persiste à croire qu’il existe tout de même des Blancs, des Noirs et des Jaunes et qu’on les reconnaît sans trop de peine ». Les choses n’ont pas évolué depuis, malgré les manuels scolaires ou les expositions pédagogiques, comme celle du Musée de l’Homme, il y a quelques années : « Tous parents, tous différents ». L’ironie, si l’on peut dire, de l’histoire est que cette invocation de la « race blanche » a pour fonction actuelle de distinguer « Français de souche » et populations issues d’Afrique du Nord et du Proche-Orient, lesquelles sont pourtant, de par les classifications raciales, de … « race blanche ».
Mais on aurait tort de ne voir là que des résidus idéologiques. Le racisme « scientifique », s’il a abandonné la craniométrie, continue d’utiliser le QI, et surtout la génétique. Le livre de 1994 The Bell Curve: Intelligence and Class Structure in American Life du psychologue Richard Herrstein et du politologue Charles Murray a été un best seller aux Etats-Unis. Il expliquait que les Afro-Américains ayant « scientifiquement » un QI inférieur à celui des « blancs », il était inutile de gaspiller de l’argent dans des programmes sociaux d’éducation. Best seller aussi A Troublesome Inheritance du journaliste américain Nicholas Wade, paru en 2014, qui prétend sans aucune preuve tangible que les différences génétiques entre les populations du globe expliquent aussi leurs comportements, agressifs ou pacifiques ou généreux, etc – tout comme on « détecte » régulièrement le gène du crime ou de l’homosexualité. Le Wall Street Journal, entre autres, en fit une recension enthousiasme, que ne suffit pas à doucher une lettre collective de protestation, signée par près de 150 généticiens de renom.
Avec l’actuel prestige de la génétique et ses succès effectifs en médecine, dans les enquêtes policières ou encore dans la mise en évidence de migrations préhistoriques, on n’est pas prêt d’en finir avec le racisme biologique.
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Terminons brièvement, comme il est usuel, par les dernières nouvelles de l’archéologie préventive. On se souvient que la loi « Création, architecture, patrimoine » est passée en première lecture à l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2015. Elle doit maintenant être examinée au Sénat. Elle n’apporte que de timides modifications à la loi de 2003 qui, amendant celle de 2001 sur l’archéologie préventive, avait introduit la concurrence commerciale en archéologie, avec les résultats que l’on sait. Sa seule avancée significative est d’instituer, à partir de maintenant, la propriété publique des vestiges archéologiques – à l’instar de nombreux pays européens. Ce qui suscite évidemment l’hostilité d’un certain nombre d’associations de pratiquants des détecteurs de métaux. Incidemment, on aura remarqué que la presse continue à se montrer d’une grande mansuétude vis à vis de cette pratique, présentée comme un innocent loisir, y compris quand des poursuites judiciaires sont engagées contre des pilleurs de sites archéologiques.
Une nouvelle disposition, sans instituer un véritable appel d’offre scientifique, tente de créer un contrôle scientifique des projets de fouilles par les services archéologiques régionaux du ministère de la Culture. On se souvient que, dans le dispositif actuel, ce sont les aménageurs économiques qui choisissent l’intervenant archéologique – normalement le plus rapide et le moins cher. Il s’agirait cette fois, pour les services du ministère, d’établir un classement, sur des bases scientifiques, des projets de fouilles des différents concurrents, une sorte de « maîtrise d’ouvrage scientifique ».
Une dernière avancée du projet de loi dans son état actuel serait de ne plus faire bénéficier les entreprises commerciales d’archéologie du « crédit impôt recherche » – une proposition votée contre l’avis du gouvernement. Les comptes de ces entreprises, quand ils sont accessibles, montrent en effet que cette disposition paradoxale, qui représente en totalité un bénéfice de plusieurs millions d’euros chaque année, leur permet de pratiquer des prix plus bas, et donc de concurrencer efficacement les services publics d’archéologie, que ce soit l’Inrap ou les services de collectivités territoriales.
Il n’est pas besoin de préciser que les parlementaires subissent actuellement un lobbying très actif sur ces sujets – aussi bien de la part des entreprises commerciales d’archéologie que de celle des associations de détectoristes à propos de la propriété publique. C’est donc sans surprise que l’on découvrira sur le site internet du Sénat les nombreux amendements déposés par les sénatrices et sénateurs de l’opposition, amendements qui reviennent à détricoter entièrement le projet de loi, pourtant bien timide, voté par l’Assemblée nationale. Le volet archéologique du projet de loi (l’article 20) concentre le plus d’amendements – plus d’une cinquantaine. Ainsi Jean-Marc Gabouty, sénateur UDI de la Haute-Vienne, département du siège de la société Évéha, actuellement la plus en pointe sur le sujet, propose de supprimer toutes les dispositions concernant le contrôle des entreprises commerciales, comme le fait qu’elles doivent respecter un minimum d’exigences « en matière sociale, financière et comptable ». D’autres sénateurs se font visiblement les porte-paroles des aménageurs économiques, comme la sénatrice LR Dominique Estrosi, qui propose carrément de supprimer tout le volet archéologique de la loi, au nom de « la liberté du commerce et de l’industrie ».
La rapporteuse elle-même du volet patrimoine du projet de loi, Françoise Férat (UDI), s’oppose à toute maîtrise d’ouvrage scientifique de l’État, à tout contrôle supplémentaire des entreprises privées, mais ne s’oppose pas, pour l’instant, à la propriété publique du mobilier archéologique
Selon nos institutions, en cas de désaccord entre les deux assemblées, et s’il n’y a pas non plus d’accord lors de la « commission mixte paritaire » composée d’un nombre égal de sénateurs et de députés, deux navettes supplémentaires seront donc nécessaires, après lesquelles l’Assemblée aura le dernier mot. Lors du vote de la loi de 2001 sur l’archéologie préventive, l’ensemble du processus avait duré dix mois , sans compter la saisine habituelle du Conseil constitutionnel par les parlementaires de l’opposition.
11 Commentaire
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[…] Jean-Paul Demoule* | 22 janvier 2016 | url de l’article original : http://www.jeanpauldemoule.com/barbares-et-civilisations/ […]
[…] http://www.jeanpauldemoule.com/barbares-et-civilisations/ […]
Bonjour Jean-Paul et merci pour cette belle leçon de civisme solidaire. Je partage en grande partie ton point de vue sauf que… je suis une femme et qu’en qualité de femme je ne peux admettre ni l’islamisme ni même l’Islam ! Je reprends à mon compte la phrase de Claude Guéant « Toutes les civilisations ne se valent pas », en la modifiant quelque peu et en la transformant en « toutes les idéologies ne se valent pas », si tant est qu’une « idéologie » sous-tend une civilisation » ou une « culture ». (Un petit exemple: tout le monde est d’accord pour dire que l’idéologie nazie n’est pas respectable).
J’en viens à ‘Islam : considérer d’emblée, comme le fait le Coran, que la femme est inférieure à l’homme, demeure mineure et lui doit obéissance, est, à mon avis, insupportable et n’est pas « respectable » parce que cette assertion est en contradiction avec l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme. A partir de là, tout le reste de ce texte mythique et aussi hétéroclite que la Bible, est, à mes yeux, nul et non avenu. Qu’un homme ait droit à la polygamie (pour des raisons économiques et d’héritage, on le sait, mais aussi parce que ce sont des « hommes » qui ont écrit le Coran et que ça les arrange bien !) n’est pas une fatalité. Le Christianisme, par exemple, au milieu de son propre fatras de contradictions, n’admet qu’un mariage (à la fois), celui d’un seul homme avec une seule femme et cela depuis le Haut Moyen Age. Ce n’est donc pas six siècles de retard que l’Islam a sur le Christianisme, mais quinze… D’autant que l’islamisme, dérive psychotique de l’islam, s’accompagne d’un regain d’attention aux rites dans l’islam des gens ordinaires (foulard, ramadan, nourriture, diabolisation du chien, etc). En outre, la Jihad, ou Guerre sainte, est un devoir du musulman. Ils l’avaient pratiquée au VIIe siècle en conquérant toute la Méditerranée jusqu’à… Poitiers. Sont-ils en train de la refaire ? Ce n’est donc pas un hasard si l’islamisme est né de l’Islam et que l’on n’obtient jamais un rejet absolu de ses dérives de la part des musulmans. Il n’y a qu’à voir leur malaise en janvier 2015 lorsqu’on leur demandait leur position sur le blasphème et la laïcité. Je voudrais bien être aussi optimiste que toi, mais cette religion pleine de tabous,de rites et d’interdits hypocrites ne me paraît pas totalement fiable…
J’ai lu avec intérêt tout ce que vous avez écrit. Je comprends bien que le champ archéologique limite en quelque sorte l’étendue de la réflexion exprimée dans ce blog. Le drame (relatif) que vit l’Europe en ce moment (qui est assez comparable à une poussée d’hystérie) , n’est il pas liée au fait que depuis la seconde guerre mondiale notamment, l’Europe diffuse un message libertaire, humaniste et social qui n’a pas trouvé beaucoup d’échos au niveau des Etats, mais qui est « arrivé aux oreilles des peuples », si bien que ces peuples désormais décident de consommer des droits qu’ils pensent ouverts pour eux à cette banque des Droits et Libertés, qu’on appelle l’Europe. En effet, de mon point de vue, tous ces migrants viennent demander à l’Europe de faire ce que leurs pays se sont montrés incapables de faire : fournir des « services » d’éducation, de sécurité, de santé, de logement, d’eau et d’électricité …Bref, il en émane une forte demande de confort, une forte demande de services publics basée sur l’affirmation constante de droits qu’ils ont renoncé à demander ou à exercer dans leur propre pays, droits dont ils savent qu’ils existent quelque part et au lieu de faire changer leur société, choisissent de migrer là où ils existent . Par ailleurs, trouvant ces droits tout à fait légitimes et intangibles, le discours entendu de la bouche de migrants interrogés reflètent souvent, à côté d’une naïveté déconcertante concernant le niveau de vie fantasmé des Européens, une absence fondamentale de mise en question de sa propre façon d’être, de son propre héritage culturel comme source fondamental de blocage. Bref, du point de vue de la société cette façon de penser ( ou plutôt de ne pas raisonner) n’est elle pas plus propre à créer des communautés enkystées dans une société englobante qui n’est qu’une référence logistique et en rien un modèle idéal culturel ou moral. Le danger n’est il pas de laisser nos démocraties être phagocytées par des personnes idéologiquement fanatisées qui pensent étendre à l’Europe leurs manière de vivre et de penser la religion et la politique ?Par ailleurs, si la génétique méconnait le concept de race, elle nous enseigne que des pratiques répandues et entretenues comme une forte endogamie, qui tend à faire à chaque génération épouser un cousin à une cousine, est à l’origine de la multiplications de troubles psychiatriques et d’arriérations mentales qui sont autant de facteurs qui peuvent distinguer le niveau d’intelligence, et partant, d’adaptation des individus. Dans e pays d’origine de mon père, l’Algérie, j’ai pu lire que 10 à 15 % des enfants souffraient de troubles psychologiques, psychiatriques ou intellectuels handicapants. Si l’on prend les tests Pisa , on observe un décalage de 4 ou 5 ans entre la capacité d’un élève français (qui ont eux même perdu l’équivalent de 1 année de compétence en l’espace de 10 ans) et un enfant algérien du même âge. La réalité des conditions d’élevage des enfants ( qui est une caractéristique culturelle) est un autre facteur important que les généticiens ne peuvent détecter : l’intelligence est un construit lié aux interactions,à la stimulation etc. par ailleurs, concernant le sort des descendants d’immigrés en France, ne pensez vous pas que le caractère patriarcal de la société et l’imperfection de la communication intrafamiliale ( qui peuvent selon moi être tout à fait comparées avec ceux qui existaient dans l France catholique d’avant 1968) ainsi qu’une forme de mythologie indépendantistes (l’exact pendant des pages de notre roman national concernant la seconde guerre) aient joué le rôle de puissant frein, et que paradoxalement des événements comme les attentats de janvier et de novembre, pourraient enfin avoir donné le courage d’une forme de French Pride ? Enfin, paradoxalement peut être également, le fait de s’intéresser aux artefacts pour retisser les fils de l’histoire n’a t’elle pas fait perdre aux historiens le sens de l’homme? Je veux dire, cette incapacité à penser l’hétérogénéité raciale de l’Europe et de la frange arabo-musulmane de l’Afrique et de l’Asie est réelle, de part et d’autre de la Méditerranée. Cependant, une caractéristique civilisationnelle commune et qui a longtemps perduré est celle de l’esclavage et de son corollaire, l’affranchissement, qui lui ne s’arrêtait pas à la couleur de la peau…Or cette réalité a été largement masqué par l’utilisation de concepts culturels désincarnés ?
Bonne année à vous !
Mme Gutsch
Que c’est agréable de vous lire, mais est-ce bien utile de citer le Front national, cette invention médiatique…entre autre. En parler ne fait que faire son jeu.
Cher Fabrice,
Merci pour ce commentaire. Je partage votre avis en général, notamment quant à la video de Daesh qui circule actuellement à propos des assassins des attentats de Paris en novembre dernier. Mais concernant le Front national, quand une formation politique, aussi méprisable soit-elle, rassemble un électeur sur quatre, on est bien obligé d’y voir un fait politique réel, quitte à l’analyser, sinon à le combattre.
Après lecture de votre texte – qui m’a été soumis à lecture par une amie archéologue – texte que je trouve vraiment intéressant et plutôt juste dans l’ensemble, je me permets de vous faire part de quelque digression personnelle inspirée par vos lignes.
Petite boutade : vous auriez pu vous référer aussi à ces incontournables « barbares » qu’étaient les Wisigoths, les Burgondes et surtout les Francs qui ont semble t-il quelque peu déterminé la création de notre « patrie »… !?
Ceci dit, le terrorisme issu de l’islam et les flux migratoires de réfugiés provenant d’Asie Mineure et du Moyen ou Proche Orient, ne datent tout de même pas « que » du 11/09/2001 … ça dure depuis des décennies et des décennies! Autre remarque, le sens profond de la notion de « civilisation » telle qu’elle nous vient des Romains pourrait être approfondi et passer au crible d’une critique éthique plus soutenue. Pour finir, à mon sens, ce n’est pas tant les divergences ou différences de civilisations, cultures, religions ou races qui vont finir par déterminer le choc conflictuel violent émergeant de plus en plus ouvertement, mais la déroute économique de populations entières dont l’esprit (ou l’absence d’esprit) se trouve plongé dans des « idéologies » néfastes. Néfastes et malsaines parce qu’elles soumettent l’individu au renoncement à sa dignité, à sa liberté, à son indépendance et même à son intégrité… au nom d’une ethnie, d’une patrie, d’un idéal ou d’un dieu quelconque, aliénant de façon destructrice raison et clairvoyance, le poussant au fanatisme violent et absurde, haineux et fatal!
La dérive islamiste s’inscrit dans cette ligne là. L’idéologie – de conquête et de soumission de toutes les nations à allah – véhiculée par le coran, l’islam enseigné depuis l’enfance quelles que soient ses différentes déclinaisons (à une ou deux exceptions près), influence tout musulman de base depuis sa plus tendre enfance qu’il soit modéré ou non. Ainsi, l’admission du djihad comme recours ultime pour éloigner les obstacles et les ennemis de l’islam détermine la foi de tout bon musulman depuis sa première entrée à la mosquée. Même s’il n’est pas « islamiste », ces deux aspects (et il y en a d’autres tout aussi malsains) font du musulman (soumis) croyant un individu potentiellement prêt à recourir à la violence totale (à l’imitation du prophète) pour faire ce qui est juste aux yeux d’allah et défendre – non pas sa culture ou civilisation – mais sa oumah, sa communauté idéologique !?!
Certes, à l’heure actuelle cela nuit essentiellement aux musulmans eux-mêmes qui s’entredéchirent un peu partout entre différentes factions, entre différentes « vérités » à imposer aux autres. Cependant il serait suicidaire pour les non-musulmans de ne pas appréhender le danger réel qu’énonce sans ambiguïté aucune l’idéologie « coranique », laquelle en l’état actuel des choses reste, lorsqu’elle est mise en pratique, bel et bien incompatible avec les notions de démocratie, de liberté, de laïcité, d’égalité (des sexes notamment) etc. Il est évidemment nécessaire de faire barrage aussi à nos propres idéologies de haine et de rejets raciaux absurdes et de repousser avec vigueur les atteintes à l’Histoire, les clichés mensongers et les clivages haineux créés artificiellement par d’ambitieux(ses) nostalgiques des dictatures passées… pour autant ne faut-il pas tomber dans une tolérance aveugle et une angélique culpabilité paralysante face à un ennemi bien réel, qui s’est tout de même inséré un peu partout dans nos sociétés et qui estime désormais « juste » dans le sens religieux du terme de nous « soumettre » ou de nous éliminer si nécessaire à sa conception du monde.
N’oublions pas que « le juif », haï, persécuté et presque exterminé, durant plus de 1500 ans n’a, quant à lui, jamais eu d’autre aspiration que de vivre sa religiosité pour lui-même et de retrouver le berceau de ses origines… Cette « idéologie » (égoïste?) a pourtant été crainte et redoutée par toute une partie de la planète sans véritable raison, mais avec des réactions infiniment cruelles et destructrices. Or, le judaïsme n’a jamais eu pour principe de soumettre d’autres peuples ou nations, bien au contraire. L’humanisme bien-pensant et quelque trace de culpabilité ont fini par convaincre le grand nombre (en Occident) de condamner cet antisémitisme, voire de le combattre. Tant et sui bien qu’à l’heure actuelle certains « gentils » penseurs associent le rejet de l’islam à celui du judaïsme et finissent par provoquer une immense et pernicieuse confusion, que quelque historien intègre et honnête, par exemple, devrait rapidement dénoncer. Il est tout de même totalement aberrant de relier la lutte contre l’antisémitisme (antijudaïsme) à celle contre l’islam et/ou surtout l’islamisme, dont les ambitions rédigées dans le coran aussi clairement que celles du nazisme dans « mein Kampf » concernant « tous » les peuples de la Terre sont très limpides ! De plus, le malheur de la judaïté a été d’accepter (volontairement) la confusion entre l’appartenance ethnique et l’appartenance religieuse. Ce n’est pas le cas du tout pour l’islam – même si certains imams et autres mollahs tentent d’affirmer le contraire. On peut parfaitement et légitimement repousser l’islam, combattre l’islamisme sans pour autant se laisser dériver vers du racisme, ni être « taxé » de racisme… d’autant que bien souvent, en France part exemple, ce racisme malsain vise les populations d’origine arabe, lesquelles ne représentent plus du tout la majorité des musulmans! L’histoire, la mémoire, la connaissance du passé doivent rester le plus honnête, le plus riche et le plus précis possible pour éviter les manipulations insidieuses des uns comme des autres. Si tel n’est pas le cas – et certains politiques égocentriques aujourd’hui visent clairement cette alternative – alors nous glisserons tous vers un gouffre d’absurdités au fond duquel barbares fanatiques et civilisés incultes s’entre-détruiront sans limite et sans même vraiment comprendre pourquoi… entrainant l’ensemble des écosystèmes de cette planète si unique et si fragile dans leur autodestruction. Mais bon, peut-être est-il encore temps de ne pas se laisser piéger vers ce type d’inéluctable dérive!
Merci pour votre attention
LS
Merci pour ce long commentaire, qui reflète effectivement ce que pense une bonne partie de l’opinion publique occidentale. Toutefois l’objectif de ce blog n’est pas de repenser le monde, mais plus modestement de relever, entre autres, en quoi l’histoire et l’archéologie peuvent être aujourd’hui manipulées et détournées – et comment elles peuvent apporter aussi des grilles de lecture. L’Islam, dans ses diverses versions, n’a que peu de retard par rapport à l’Occident chrétien, quant à la prétention à détenir la seule vérité, avec toutes les conséquences très concrètes quant à l’éradication de nombreuses cultures et sociétés dans le monde. Et le travail critique de l’Occident n’a que deux siècles à peine.
Monsieur,
Abonné à votre blog dont je reconnais l’excellente qualité, je partage en grande partie vos propos. Il y a un point qui semble t-il a évolué chez vous et qui nous oppose. C’est votre position sur les détectoristes amateurs. Ancien archéologue et journaliste pour un magazine spécialisé en détection de métaux ( DETECTION PASSION) j’aimerais vous inviter à en débattre en public au cours du prochain Salon de la détection qui se tiendra à Paris en octobre prochain.
Bien cordialement.
Cher Monsieur,
Je ne pense pas avoir changé de position sur la question des détecteurs de métaux. Je suis tout à fait explicite dans un article à paraître dans le prochain numéro de la revue Archéologia (février 2016). Si j’ai mentionné cette question dans mon dernier « post », c’est à propos des dispositions de la nouvelle loi sur la propriété publique du mobilier archéologique. Cette question dépasse de beaucoup celle des seuls détecteurs de métaux : il s’agit d’aligner la législation française sur celle de la majorité des pays européens, et de mieux protéger notre patrimoine archéologique, comme l’explicitait la tribune que j’ai co-signée, avec un certain nombre de collègues, dans le journal Le Monde.
Mais je répondrai avec plaisir à votre invitation, dont je vous remercie, dans la mesure de mes disponibilités. Je pense toutefois que des archéologues de l’Inrap, directement confrontés au problème du pillage des sites archéologiques, seraient mieux à même que moi pour participer à un tel débat.
Bien cordialement
Merci pour ce moment … de lecture passionnante et meilleurs voeux pour 2016. Jean-Pierre Aubin