Livre Blanc : ce n’est qu’un début…

Ce vendredi 29 mars 2013, Dominique Garcia, vice-président du Conseil national de la recherche archéologique et président de la Commission dite « d’évaluation scientifique, économique et sociale de l’archéologie préventive », a remis à Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la communication, le « Livre blanc de l’archéologie préventive ». Ce document de 64 pages (et 88 pages d’annexes) est désormais disponible sur internet à l’adresse : www.archeologie.culture.gouv.fr/livre_blanc

On trouvera également à cette même adresse la quarantaine de contributions envoyées spontanément à la commission par différents groupes d’archéologues et d’aménageurs, certaines très importantes.

            Un bilan utile et préoccupant

Il s’agit donc d’une nouvelle contribution à la longue liste d’une quarantaine de rapports (il n’existe pas de liste canonique) sur l’archéologie, inaugurée il y a près de quarante ans par le Rapport Soustelle. De fait, cette moyenne d’environ un rapport par an ne s’est guère démentie depuis lors et elle témoigne, à la fois de la vitalité de notre discipline, et des difficultés des pouvoirs politiques à en assurer un fonctionnement normal. On s’en souvient, la constitution de la commission avait été annoncée dès juin 2012 par la Ministre de la Culture, qui l’avait mise en place au début du mois d’octobre. Mais, comme beaucoup l’ont remarqué, les effectifs pléthoriques de la Commission (27 membres), sa composition (seulement deux signataires de l’Appel des archéologues de juin 2012 – nettement au-dessous de la probabilité statistique), son calendrier (étiré sur six mois, mais à raison de deux jours mensuels de réunion seulement), ne risquaient guère de déboucher sur un texte, sinon révolutionnaire, du moins directement opérationnel. On pouvait même y déceler la force d’inertie d’une administration ministérielle peu encline au changement, après dix ans de gouvernements conservateurs.

Archéologues, nous vouons un intérêt tout particulier aux récipients, qu’ils soient ou non en céramique, et l’on peut, dans ce Livre blanc, voir soit la bouteille à moitié vide, soit la bouteille à moitié pleine.

En tant que tel, ce document marque certainement une étape importante, dans la mesure où il rassemble et synthétise un certain nombre d’informations plus ou moins disponibles (cf. les annexes et les contributions extérieures). Il met aussi le doigt sur un certain nombre de dysfonctionnements actuels, dont les principaux sont le système de financement, toujours pas stabilisé (avec une collecte très complexe de la redevance d’archéologie préventive, inégale sur le territoire, et de toute façon insuffisante, ce que relève également le rapport de la Cour des Comptes en cours de rédaction) ; le manque cruel de moyens et d’effectifs des services régionaux de l’archéologie du Ministère de la Culture, ne serait-ce que pour un réel contrôle de la qualité des fouilles préventives mais aussi pour une égalité de traitement des aménageurs, actuellement très hétérogène sur l’ensemble du territoire – manque de moyens qui touche tout autant les instances de contrôle scientifique, CNRA et CIRAs (dont on pourrait d’ailleurs s’étonner qu’il s’agisse des seules instances scientifiques dans notre discipline qui ne comportent aucun membre élu, la complexité de la procédure n’étant guère un argument) ; les « angles morts » de la législation actuelle, qui ne couvre pas un certain nombre de facteurs majeurs de destructions (travaux agricoles et forestiers, patrimoine sous-marin, travaux sur le bâti, érosions dues à des causes naturelles, etc) ; l’absence, à pallier, d’une notion de « servitude archéologique » comme il en existe dans d’autres domaines de l’aménagement ; l’absence de coordinations interministérielles et interinstitutionnelles digne de ce nom, et plus particulièrement l’absence notable du Ministère de la recherche et de l’enseignement supérieur sur ce dossier ; l’absence d’une politique des personnels sur le long terme, tenant compte des pyramides des âges et permettant des passerelles entre les institutions publiques ; l’absence d’une politique coordonnée de constitution de réserves archéologiques, en lien avec une politique de lutte contre l’artificialisation galopante des terres, l’un des objectifs affichés du Ministère du « développement durable » ; l’absence d’une programmation scientifique à long terme de l’archéologie préventive et de l’archéologie tout court, thème récurrent depuis de longues années, et probablement insoluble ; le déficit en diffusion de l’information, scientifique ou culturelle.

            Une hostilité politique jamais découragée

Tout cela est connu, mais il n’était pas inutile de fournir des arguments détaillés et actualisés à un ministère souvent maltraité dans les arbitrages.

Hasard en effet, a paru en même temps que le Livre blanc le rapport sur l’ « inflation normative », rédigé par Alain Lambert, ancien ministre du budget et président (divers droite) du Conseil général de l’Orne, et par Jean-Claude Boulard, maire socialiste du Mans. Ce rapport, destiné au Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (la MAP est le nouveau nom de la RGPP) et dont la couverture est illustrée par un dessin de Plantu, prétend s’attaquer aux 400.000 normes administratives qui freineraient la créativité économique française. On y découvre page 31, sans beaucoup de surprise bien qu’avec une certaine lassitude blasée, sous la rubrique «  Encadrer normes et procédures en matière de fouilles » :

Les fouilles se révèlent souvent un facteur de ralentissement et de renchérissement des chantiers. L’abus du devoir de « mémoire archéologique » peut parfois obérer « le devoir d’avenir ». Les prescriptions de fouilles ne font l’objet ni de débat contradictoire ni de limitation de dépenses, le prescripteur n’étant pas le payeur.

Pour tenter d’alléger les contraintes fouilles, nous formulons trois propositions :

– Ne plus déléguer les décisions relatives aux fouilles préventives aux conservateurs régionaux de l’archéologie, mais exiger qu’elles soient signées par les Préfets de Région eux-mêmes afin de garantir que sera pris en considération l’intérêt général qui ne se résume pas aux intérêts archéologiques :

– plafonner à 1 % du montant du chantier le coût des fouilles

– instaurer un lieu de débat contradictoire avant décision sur les fouilles préventives et une instance d’appel après décision.

On gravera précieusement cette nouvelle citation « L’abus du devoir de « mémoire archéologique » peut parfois obérer « le devoir d’avenir » » dans l’anthologie (on ne parlera pas de bêtisier) des déclarations des hommes politiques français en matière d’archéologie (nationale), symptôme supplémentaire de leurs difficultés avec le passé français. Et on ne glosera pas plus ici sur le caractère contestable et inadéquat de l’analyse comme des mesures proposées, dans le droit fil du défunt rapport du sénateur Doligé, qui remonte à deux ans à peine. Mais dans le contexte du « choc de simplification » administrative annoncé par le Président de la République, il convient pour le moins d’être vigilant. On notera aussi la déclaration, à ce propos, de l’ancien ministre socialiste André Laignel, maire d’Issoudun et ancien membre du Conseil d’administration de l’Inrap : http://www.lanouvellerepublique.fr/France-Monde/Actualite/24-Heures/n/Contenus/Articles/2013/03/27/Guerir-la-France-de-son-delire-normatif-1387748.

            Des statistiques qui restent à faire

Pour revenir au Livre blanc, il est très dommage que les moyens n’aient pas été fournis à la commission, durant ses six mois d’existence, pour approfondir un certain nombre de données statistiques indispensables. La sous-direction de l’archéologie ignore en effet la part exacte des différents intervenants de l’archéologie préventive (données en partie, il est vrai, couvertes par le secret commercial dans l’actuelle législation). On ne connait pas plus (et le ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, pourtant représenté dans la Commission, ne le connait pas non plus) les surfaces concernées chaque année par des aménagements (« l’artificialisation ») et donc le pourcentage de celles qui sont diagnostiquées, même si on possède quelques approximations – et au moins un chiffre pour la Bretagne, rappelé dans le Livre blanc, soit 15%. Ce serait pourtant un argument utile à opposer aux détracteurs de l’archéologie, tout comme, si on les possédait (ils ne sont pourtant pas hors d’atteintes), les délais d’intervention. On ne connaît pas plus le coût total de l’archéologie préventive, tous organismes confondus – sans doute autour de 250 millions d’euros, à 10% près, soit 0,01% du PIB de la France. De ce point de vue, l’ « évaluation économique et sociale » qui figure dans le titre de la Commission en a été fortement amoindrie.

Curieusement, si l’on peut estimer sans trop de mal le nombre des archéologues du ministère de la Culture, de l’Inrap, des collectivités territoriales, voire des entreprises commerciales, on est dans un flou important pour estimer le nombre d’universitaires et de chercheurs du CNRS impliqués dans l’archéologie préventive. La liste des membres des UMR ayant à voir avec l’archéologie, compilée par le ministère de la Culture, recense en effet 1144 universitaires ; mais la commission n’a trouvé que 281 enseignants universitaires d’archéologie, chiffre très probable. Quant aux 799 chercheurs ou ingénieurs du CNRS affirmés pour ces mêmes UMR, un rapide sondage a montré qu’il y avait au maximum, selon les équipes, entre 5% et 35% du temps de recherche de ces personnels qui concernait réellement l’archéologie préventive métropolitaine. Ce dernier chiffre, à affiner, n’est pas à négliger, car le ministère de la Recherche tâche parfois de justifier son désintérêt chronique pour l’archéologie préventive au nom des moyens qu’il consacrerait en salaires de chercheurs.

            Propriété nationale et concurrence commerciale

Le constat sévère, émis par le Livre blanc, d’un certain nombre des défaillances du dispositif actuel ne prendra évidemment sens que si les mesures concrètes proposées sont réellement mises en œuvre, y compris dans le difficile contexte budgétaire actuel – mais tout ne réclame pas des moyens supplémentaires, et certaines mesures ne demandent aucun ajustement législatif.

Il est cependant deux autres propositions fortes du Livre blanc qui méritent que l’on y revienne. La première concerne la propriété du mobilier archéologique, un archaïsme législatif qui devrait disparaître. Les objets archéologiques appartiennent en effet, pour moitié au propriétaire du terrain, pour moitié à celui qui les découvre (« l’inventeur »), en l’occurrence l’Etat s’il s’agit de fouilles préventives, puisque prescrites par l’Etat. La loi de 2001 avait déjà « nationalisé » les structures archéologiques immobilières découvertes en fouille préventive (du trou de poteau néolithique au théâtre romain, mais le législateur avait en fait la grotte Chauvet à l’esprit, qui n’avait pourtant pas été trouvée en contexte préventif). La loi de 2003 a donné un an au propriétaire du terrain pour revendiquer son bien (revendication qui ne s’est presque jamais produite en dix ans). Le colloque organisé en octobre dernier au musée du Quai Branly par le ministère de la Culture sur « Le patrimoine archéologique et son droit » avait permis de faire progresser significativement ce dossier. Dans les grands pays archéologiques, comme la Grèce et l’Italie, mais aussi dans toute l’Europe centrale et orientale, le patrimoine archéologique est propriété nationale. On peut donc raisonnablement penser que cette mesure, qui permettra même de faire des économies (retrouver à chaque fois les propriétaires pour constater qu’ils renoncent à leurs dizaines, voire centaines de caisses de tessons et d’ossements a un coût certain), devrait normalement faire partie de la loi sur les patrimoines que prévoit la ministre de la Culture avant la fin de l’année.

L’autre point essentiel concerne le choix par l’aménageur économique de l’intervenant archéologique – ce qu’on appelle, de manière juridiquement discutable, la « maîtrise d’ouvrage archéologique ». Le consensus s’est fait  dans la commission sur l’inadéquation de cette procédure – qui n’était d’ailleurs nullement demandée en 2003 par les aménageurs eux-mêmes, mais qui a été introduite d’autorité par la majorité parlementaire d’alors afin de mettre en place, de manière idéologique et artificielle, un « marché » des fouilles archéologiques – et sur la nécessité que la « maîtrise d’ouvrage » revienne à l’Etat. Ce consensus est évidemment essentiel, mais au-delà du constat, tout reste en effet à faire. L’idéologie néolibérale qui préside depuis près de trente ans à la construction européenne rend en effet les retours en arrière difficiles, une fois le « marché » institué. Certes, ce « marché » reste limité, puisque l’archéologie commerciale ne représente qu’environ 15% des interventions, mais il existe – même s’il n’a été construit qu’en enfreignant les règles de la concurrence, c’est à dire en plafonnant d’autorité les effectifs de l’Inrap et en favorisant, parfois à la limite de la légalité, au sens du « délit de favoritisme », certaines entreprises privées.

Il n’y a donc que deux solutions générales, à étayer ensuite sur le plan juridique, pour revenir à une « maîtrise d’ouvrage » publique :

1)   On considère, comme en 2001, que l’Etat est seul responsable de l’archéologie préventive, et qu’il délègue cette responsabilité à un service public articulant les services régionaux de l’archéologie, les services de collectivités territoriales et l’Inrap – les personnels des entreprises privées étant intégrés dans ces services publics (comme le demandent les organisations syndicales) ou bien ces entreprises conservant un rôle de sous-traitance. En 2003, la Commission européenne avait validé le dispositif de 2001 en reconnaissant à chaque membre de l’Union le droit de s’organiser librement dans ce domaine.

2)   Dans une autre variante, on considère que l’appel d’offre pour une fouille préventive n’est pas de nature économique, mais bien scientifique (comme c’est le cas des appels d’offre de l’Agence nationale pour la recherche, du CNRS, ou encore du European Research Council) et que l’intervenant archéologique doit donc être choisi par une commission scientifique, qui pourrait être les CIRAs, par exemple.

Dans les deux cas, il est évident que les tarifs de la fouille devraient être mieux encadrés, expliqués et contrôlés, aussi bien par clarté vis à vis de l’aménageur en général, que pour éviter le dumping de la part d’entreprises commerciales peu scrupuleuses si le système actuel n’était pas sérieusement amendé.

Toutefois le Livre blanc, à ce stade, ne propose que des demi-mesures (p. 52), c’est à dire un contrôle renforcé des SRA, contrôle que ces derniers n’ont pas les moyens d’exercer, de même qu’il est proposé un contrôle plus serré des agréments et de leur suivi par les CIRAs et le CNRA, contrôle qui sur le papier existe pourtant depuis dix ans.

            Trois dossiers essentiels

De fait, la composition et les moyens de travail de la Commission ne lui donnaient pas les moyens de travailler sur au moins trois dossiers cruciaux :

Premier point : une critique argumentée des dérives de la concurrence commerciale. Il n’y est fait que de brèves allusions (p. 6, 50-51, 55), dont toutes les conséquences ne sont pas tirées jusqu’au bout : dumping sur les moyens consacrés aux fouilles ; choix de l’employé de la structure la moins chère au détriment du meilleur spécialiste de la période et de la région concernée (et impossibilité par là même de définir des programmes régionaux sur le long terme, ceux qui existent étant de plus en plus mis en péril) ; désorganisation de la chaine scientifique, pourtant proclamée insécable, entre des intervenants successifs différents et aux méthodes hétérogènes ; collaborations avec des chercheurs universitaires et du CNRS impossibles car enfreignant les règles de la concurrence commerciale, puisqu’effectuées à titre gracieux ; coûteuse absurdité de la concurrence entre services publics (collectivités territoriales avec l’Inrap et même entre elles) ; respect et contrôle variable des normes fiscales, économiques et sociales ainsi qu’en matière de contraintes environnementales, d’hygiène et de sécurité, etc, etc. L’âpreté de la concurrence commerciale déstabilise aussi bien l’Inrap que les services de collectivités territoriales, dont certains sont en grande difficulté (en Alsace par exemple).

Il est paradoxal, là encore, que ce soit les organisations syndicales qui, dans leurs contributions (consultables en ligne), aient porté les critiques les plus précises et les plus argumentées, critiques auxquelles d’ailleurs il n’a pas été répondu, ni dans le Livre blanc, ni de la part des responsables de ces entreprises. Ainsi, une carte des interventions de ces entreprises montre à l’évidence qu’elles se partagent le territoire national, au mépris des règles concurrentielles. De même, il est étonnant que certaines d’entre elles émargent de manière importante au Fond national d’archéologie préventive (FNAP), lequel est une sorte de guichet ouvert, pour lequel il serait normal que ce soit l’établissement public qui soit choisi. Enfin, dans la mesure où il est montré, à partir de documents accessibles et vérifiables, que les responsables de ces entreprises font de confortables bénéfices personnels (en sus du salaire qu’ils s’octroient), il serait peu admissible qu’ils aient de surcroît accès à des crédits de recherche publics, comme il semble suggéré dans le Livre blanc.

Second point : une reprise en main au sein du ministère de la Culture et de certains services régionaux de l’archéologie. La concurrence s’est développée, on l’a vu, en infraction avec les règles normales du « marché », non seulement par le plafonnement arbitraire des effectifs de l’Inrap, mais par l’attitude de certains agents de la Sous-direction de l’archéologie, voire de certains préfets. Certes, après tout, ces fonctionnaires ne faisaient qu’obéir à une ligne politique définie par un gouvernement et une représentation parlementaire démocratiquement constitués. Mais, d’une part, les temps et la démocratie ont changé. D’autre part, ces fonctionnaires sont allés parfois au-delà de leur mission, en décourageant, oralement et parfois par écrit, des aménageurs de recourir à l’Inrap, et en fermant les yeux sur certains manquements des entreprises commerciales dans leurs obligations scientifiques ou autres, y compris en tolérant qu’une même personne soit responsable en même temps de plusieurs chantiers. On peut estimer ces comportements minoritaires, et on pourra citer des cas où, au contraire, de tels manquements sur le terrain ont été sanctionnés. Mais ils n’en ont pas moins un effet délétère, aussi bien auprès des autres agents de la Sous-direction de l’archéologie, que des archéologues des autres organismes. Le ministère de la Culture ne pourra donc s’exonérer d’une sérieuse reprise en main.

Troisième point : une simplification scientifique et administrative. Là encore, la composition de la Commission ne permettait pas un travail prospectif et détaillé. Au moment où l’on cherche à simplifier les procédures (voir plus haut), le dispositif actuel est particulièrement complexe et coûteux. Une simplification radicale serait par exemple de fusionner l’Inrap et la Sous-Direction de l’archéologie dans un « scénario intégré » que réclamaient naguère les Conservateurs régionaux de l’archéologie, qui prendrait la forme d’une Agence nationale pourvue de droits régaliens, incluant une répartition des compétences avec les services territoriaux (cf. la fin du texte : http://jeanpauldemoule.wordpress.com/2013/01/07/a-quoi-sert-letat/). De fait, la question, inévitable, de la poursuite de la décentralisation n’a pas non plus été abordée. Un certain nombre de responsables de services archéologiques territoriaux affirment se satisfaire du flou actuel, alors même que leur situation est très fragile et vulnérable aux changements politiques qui ne manqueront pas d’affecter ces toutes prochaines années un certain nombre de collectivités. De ce point de vue, ne pas placer l’Inrap clairement au centre du dispositif avec, répétons-le, des conventionnements renforcés avec les UMR du CNRS et les services de collectivités, est antinomique de la création et de l’existence d’un institut national de recherche, qui doit être le pivot d’une politique de recherche à long terme – quels que soient les reproches ponctuels, mais amendables, que l’on puisse faire à tel ou tel aspect de cet établissement public. Le rapport de la Cour des Comptes lui-même, en cours d’élaboration, le premier rédigé sur l’Inrap, n’est pas le dernier à s’étonner de l’incapacité du ministère de la Culture, au cours de ces dix dernières années, à assumer un institut qu’il a créé, mais dont il semble s’ingénier à compliquer, sinon à entraver, le fonctionnement.

C’est à cause de ces différents manques qu’au moins un tiers des membres de la Commission, malgré une composition pourtant soigneusement étudiée, se sont abstenus ou bien ont émis les plus expresses réserves sur le présent texte du Livre blanc.

            Et maintenant ?

Ainsi que l’a annoncé la Ministre de la Culture le 29 mars dernier à la réception du Livre blanc, les propositions émises doivent être maintenant expertisées et traduites par les services du ministère, en vue de rédiger le volet archéologique de la loi sur les patrimoines dont le vote est prévu pour la fin de cette année. Il est probable, au vu de ce qui vient de se passer, que toute la haute administration du ministère ne manifestera pas le même enthousiasme pour faire avancer le dossier dans le sens d’une rupture franche avec la loi de 2003 et la politique des dix dernières années.

Si l’on compare les propositions du Livre blanc avec l’Appel des archéologues de juin 2012, on pourrait considérer qu’un grand pas a été franchi. Toutefois, la question de la concurrence commerciale, loin d’être un point parmi d’autres, est au contraire centrale. Elle est entrain de déstabiliser l’ensemble du dispositif scientifique, en fragmentant les pratiques, les programmes, les équipes et en abaissant le niveau d’exigence scientifique. De ce point de vue, l’une des conclusions les plus importantes, posée d’emblée, du Livre blanc est bien celle-ci (p. 6) : « Pour résumer les choses en un mot, l’archéologie n’est pas une activité de travaux publics mais de recherche à la fois fondamentale et appliquée. Elle ne saurait donc s’inscrire dans une logique purement commerciale ».

En conséquence, les principaux points sur lesquels la communauté scientifique a désormais toute chance d’être intransigeante quant à des réponses complètes et concrètes à la situation créée par la loi de 2003 sont les suivants :

1)   L’abandon de la concurrence commerciale au profit d’une stricte logique scientifique.

2)   Le renforcement en moyens des Services régionaux de l’archéologie et des instances d’expertise scientifique, CNRA et CIRAs.

3)   Un engagement du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, à la fois en crédits et en expertise scientifique.

4)   Une coordination scientifique entre ministères grâce à une commission interministérielle, et entre organismes publics par des conventionnements systématiques, permettant de définir une politique à long terme, des programmes de recherche et des appels d’offre.

5)   Des passerelles assurant la fluidité des personnels entre services publics de recherche et une gestion prévisionnelle des emplois.

 6)   Une réflexion sur les processus de simplification du dispositif actuel, dont la complexité est une source de perte de temps, d’énergie et de crédits.

5 Commentaire

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  • 29 août 2013 à 1 h 39 min

    Rideau !
    La ministre de la culture en cette fin de mois d’août vient d’entériner par sa réponse à la cour des comptes le principe de la concurrence en archéologie préventive. Aménagements du dispositif à la marge : voilà l’épilogue de cette mascarade qui s’insère parfaitement dans la capitulation hollandienne en action.

  • 9 juin 2013 à 0 h 33 min

    Merci et bravo pour ce décryptage et cette critique du Livre Blanc !
    Je partage bon nombre de ces constatations et certaines pistes de réflexion me semble très bonnes sur ce qu’il serait profitable pour tous les acteurs de l’archéologie actuelle.
    Je me permettrais juste une petite remarque qui me pose question depuis quelques temps déjà.
    Ne peut on poser, en plus du reste, la question de la taille des opérations ?
    En effet sur les très très grandes surfaces(autoroutes, lignes TGV…), il apparaît évident qu’un seul opérateur possède les moyens logistiques et matériels. Sur ce point pas de problèmes, quoique déjà, certaines collectivités disposent aujourd’hui de moyens impressionnants…
    Mais en dessous d’une certaine taille d’opération, là, fait rage la « guerre » des appels d’offres,et comme vous le dites c’est souvent le mieux-disant financier qui l’emporte avec tout ce que cela comporte comme problèmes : scientifiques, techniques et même éthiques (n’ayons pas peur des mots !).
    Et quid surtout des toutes petites opérations ?
    Combien de petites communes doivent elles encore taire, cacher leurs vestiges lors d’aménagements de petites surfaces par faute de moyens financiers ? A l’heure actuelle, combien de petits aménageurs, publics ou privés, voient ils en réponse à leurs appels d’offres des devis complètement inadaptés à leurs capacités et, de surcroît avec des délais de début d’intervention complètement décourageants.
    Avec tous ces petits chantiers qui ne peuvent avoir lieu, ce sont des masses de données que nous perdons tous les jours, c’est « l’archéologie des villages » a qui l’on ne laisse aucune chance…
    Je serais vivement intéressé par votre avis sur cet aspect de l’archéologie préventive.

  • 6 avril 2013 à 9 h 18 min

    Si ce Livre blanc est si mauvais, pourquoi donc, Monsieur Demoule, n’avez-vous pas voté contre et pourquoi donc n’y a-t-il pas eu une seule voix dans la commission pour voter contre ?…

    • 9 avril 2013 à 10 h 57 min
      En réponse à: POUSTHOMIS

      On comprend aisément que Bernard Pousthomis, qui dirige l’une des principales entreprises commerciales d’archéologie, s’intéresse de près au contenu et au devenir du Livre blanc. La pédagogie reposant sur la répétition, je rappellerai, pour répondre à sa question, que :
      a) La composition, le mode de travail et les outils de la Commission, tels que conçus par l’administration du ministère de la Culture, excluaient dès le départ tout débat de fond argumenté sur l’archéologie commerciale en France.
      b) Un certain nombre de points du Livre blanc constituent des éléments indéniablement utiles, notamment en vue de la préparation de la nouvelle loi sur le patrimoine.
      c) Néanmoins, au moins un tiers des membres de la Commission se sont abstenus, ou ont exprimé de très fortes réserves, sur le fait que la question de l’archéologie commerciale, à l’origine de la constitution de la Commission, n’avait pas été abordée de front.
      La question reste donc en l’état, même si le Livre blanc fait brièvement état, je l’ai rappelé, des dysfonctionnements graves qu’entraîne l’archéologie privée. Il ne s’agit en effet pas d’un point annexe, mais c’est la recherche archéologique française dans son ensemble qui est en jeu, avec une désorganisation croissante, aussi bien des institutions que des programmes et des conditions de travail. J’ajoute qu’au moment où la moralisation de la vie publique revêt une certaine urgence, on peut s’interroger légitimement sur les bénéfices confortables, et non réinvestis dans la recherche, que font certaines entreprises commerciales : cf, dans la documentation en annexe du Livre blanc, http://www.archeologie.culture.gouv.fr/livre_blanc/pdf/contributions/lb_sgpa-cgt-culture_consequences-loi-2003.pdf, et spécialement le tableau de la page 22 – qui n’a pas été démenti. S’il s’avérait que ces bénéfices ne profitaient qu’à un très petit nombre de dirigeants et bien au-delà de leur salaire normal, on serait là dans un cas de figure très grave, où l’argent des aménageurs publics et privés, mobilisé par la loi pour la protection de notre patrimoine archéologique, servirait en fait à l’enrichissement personnel de quelques uns. Ce serait moralement, scientifiquement et politiquement inadmissible.

  • 4 avril 2013 à 11 h 41 min

    Excellent, Cher Jean-Paul; une seule précision sur le système italien. Effectivement le mobilier fouillé est propriété de l’Etat, mais (et ce mais est de taille), l’Etat indemnise les propriétaires par une évaluation de la valeur marchande du mobilier, ce qui a actuellement entraîné le gel des fouilles programmées sur des terrains n’appartenant pas à l’Etat… Avec mon souvenir amical,

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