Que l’histoire de notre territoire n’ait été faite en permanence que de migrations et de métissages pourrait paraître une évidence, voire une banalité. L’archéologie n’a cessé de le confirmer, depuis les premières arrivées d’homo erectus jusqu’aux migrations du Haut Moyen Âge, en passant par l’arrivée d’homo sapiens, puis la colonisation néolithique issue du Proche Orient, les recompositions du néolithique et de l’âge du Bronze, les migrations celtiques, la colonisation grecque puis romaine – sans compter les mouvements plus récents. Tels ne sont pourtant pas les présupposés de ceux qui ont lancé l’assez peu reluisant débat autour de l’ « identité nationale », lequel continue d’alimenter, plus ou moins au grand jour, les ultimes déclarations de la campagne présidentielle. Débat dont le projet de » Maison de l’histoire de France » porte en lui, selon les mots de Pierre Nora, le » péché originel « .
On pourrait voir, dans ces circonstances, comme un signe du destin la redécouverte inattendue dans un grenier du manuscrit, datant de 1950, de Lucien Febvre, coécrit avec François Crouzet – et retrouvé précisément par les ayant-droits de ce dernier, alors jeune assistant à la Sorbonne. Il vient donc d’être publié sous le titre : Nous sommes tous des sang-mêlés. Manuel d’histoire de la civilisation française (Albin Michel). C’était à l’origine une commande de la toute jeune Unesco, en ces temps de renaissance où tout paraissait possible, alors que le Programme du Conseil National de la Résistance avait jeté les bases d’une société solidaire, où la communauté des citoyens s’était emparée, grâce aux nationalisations, d’une grande partie des moyens de production collectifs les plus essentiels. C’est l’Unesco aussi qui avait commandé à Claude Lévi-Strauss Race et histoire, publié en 1952 afin de mettre à bas les fondements du racisme. Lucien Febvre, cofondateur avec Marc Bloch de l’école des Annales, ne s’était pas engagé dans la Résistance, contrairement à Marc Bloch, qui sacrifia sa vie à ses idéaux. Néanmoins, la commande de l’Unesco était bien d’écrire une autre histoire de France, non plus d’une » identité » immuable depuis la nuit des temps, mais de brassages ethniques et culturels permanents. Il faut donc lire ce livre.
Significativement, et preuve que des chercheurs en sciences humaines ont su prendre leurs responsabilités, plusieurs autres livres collectifs sont sortis ces mêmes dernières semaines sur ce même sujet. Ainsi du dernier livre d’Hervé le Bras et Emmanuel Todd, L’invention de la France, Atlas anthropologique et politique (Gallimard). Comme l’indique le 4ème de couverture : » Une conviction cheville cet atlas : la nation française n’est pas un peuple mais cent, et ils ont décidé de vivre ensemble. Du nord au sud, de l’est à l’ouest de l’Hexagone les mœurs varient aujourd’hui comme en 1850. […] La culture est mouvement, progrès, diffusion, homogénéisation bien sûr, mais de nouvelles différences apparaissent sans cesse – aujourd’hui maghrébines, africaines ou chinoises. Il ne saurait donc y avoir de retour à une homogénéité perdue, parce que cette homogénéité n’a jamais existé « .
Il faut citer aussi un autre travail collectif, La France une et multiculturelle : Lettres aux citoyens de France (Odile Jacob), d’Edgar Morin (dont la “politique de civilisation” eut les honneurs éphémères d’un discours présidentiel) et de Patrick Singaïni. Le premier y signe un texte sur » La francisation à l’épreuve « , et le second une » Lettre aux Français (de souche) « , tandis que plusieurs chercheurs ayant travaillé sur ce sujet viennent compléter la reflexion (Sabah Abouessalam, Nacira Guénif, Misako Nemoto, Nelson Vallejo-Gomez, Yu Shuo-Bossière, Marc Cheb Sun, Rockhaya Diallo, Doudou Diène, François Durpaire), ainsi que deux candidats à l’élection présidentielle naturalisés français (Eva Joly et Manuel Valls).
Collective encore Notre France, de Farouk Mardam-Bey, Edwy Plenel et Elias Sanbar (Sindbad Actes Sud), conversation à trois auteurs, dont deux nés étrangers, et inspirée directement du même débat sur l’identité nationale – ici qualifié de » faux débat parce qu’il partait d’une vision crispée de l’identité se prévalant de la peur qu’inspire à beaucoup de Français le spectacle d’un monde en mouvement où les anciens repères de l’Etat-nation sont bouleversés comme jamais auparavant. […] Pour terminer sur cette question : comment trouver un imaginaire commun de l’ici et de l’ailleurs, du proche et du lointain « . Et, pour finir, mentionnons Identité française de Jacques Andréani (Odile Jacob).
Il faut souhaiter que toutes ces contributions enrichissent un débat si mal parti, et lui fasse retrouver un minimum de dignité. Que l’archéologie y contribue aussi à sa manière et avec les faits qu’elle a su mettre en évidence, est une preuve supplémentaire de son indispensable utilité sociale.
C’est d’ailleurs avec plaisir que j’ai pu lire sur plusieurs sites d’extrême droite des propos désagréables visant mon dernier livre On a retrouvé l’histoire de France, et notamment ce qui y est dit des migrations et des métissages. En 1993, le Club de l’Horloge, une officine de l’extrême droite liée à la » Nouvelle Droite » et militant pour un rapprochement avec la droite classique, m’avait décerné le » prix Lyssenko » pour mes travaux critiques sur le problème indo-européen – prix attribué chaque année à un ennemi idéologique particulièrement détesté et qu’ont reçu, entre autres, Albert Jacquard, Robert Badinter, Jean-Noël Jeanneney, André Langaney, Pierre Bourdieu, Daniel Cohn-Bendit, Hervé Le Bras, Gilles Kepel, etc). On a les ennemis que l’on mérite.
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Ci-joint quelques rappels concernant les principaux articles ou émissions, passés ou à venir, consacrés à ce livre :
Emissions :
– Mathieu Vidard, La Tête au Carré, France Inter : 15 mars (14h-15h) : http://prod.franceinter.fr/emission-la-tete-au-carre-comment-l-archeologie-raconte-notre-passe?&comments=votes#comments
– Philippe Colin & Xavier Mauduit, Downtown, France Inter : 2 avril (18h30-19h) : http://prod.franceinter.fr/emission-downtown-daphne-betard-et-jean-paul-demoule
– Caroline Lachowsky « Autour de la question » sur Radio France International, le 5 avril de 11h à 12h : http://www.rfi.fr/emission/20120405-1-pourquoi-archeologie-nous-raconte-une-toute-autre-histoire
– La Nouvelle Edition de Canal Plus, le 5 avril de 12h30 à 12h40 : http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid3847-c-la-nouvelle-edition.html?progid=615625 (à 11 minutes 20)
– Le zapping, Canal Plus, 5 avril : http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid1830-c-zapping.html (à 4 minutes 45)
– Fabienne Chauvière, Les Savanturiers, France Inter : 15 avril (0h-01h) : http://www.franceinter.fr/emission-les-savanturiers-jean-paul-demoule-archeologue
– Vincent Charpentier, Le Salon Noir, France Culture : 18 avril (14h30-15h) : http://www.franceculture.fr/emission-le-salon-noir-on-a-retrouve-l%E2%80%99histoire-de-france-2012-04-18
– Monique Atlan, Dans quelle étagère, France 2, les 16 et 17 avril, et le 17 mai : http://programmes.france2.fr/dans-quelle-etagere/?page=accueil&id_article=3484
– Frédéric Taddei, Ce soir (ou jamais), France 3, le 24 avril : http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/
– Monique Canto-Sperber, Questions d’éthique, France Culture, mai : http://www.franceculture.fr/emission-questions-d-ethique
Journaux :
– Etienne Dumont, La Tribune de Genève, 18 mars : http://www.tdg.ch/culture/autres-arts/Pourquoi-l-archeologie-nationale-derangetelle-les-Francais/story/19149127
– Fabien Gruhier, Le Nouvel Observateur, 22 mars.
– Sylvestre Huet, Libération du 31 mars : http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2012/04/larch%C3%A9ologie-a-retrouv%C3%A9-lhistoire-de-france.html
– Le site internet de France Télévisions : http://www.francetv.fr/culturebox/lhistoire-de-la-france-revisitee-par-larcheologie-89081
– Bernadette Arnaud, Sciences et Avenir, avril
– Max Angel, Mediapart, 2 avril : http://blogs.mediapart.fr/blog/max-angel/020412/retrouve-l-histoire-de-france
– Christophe Lucet, Sud-Ouest Dimanche, 15 avril
– Paul Vaute, La Libre Belgique, 16 avril : http://www.lalibre.be/culture/livres/article/732425/sous-les-paves-il-y-a-l-histoire.html
1 Commentaire
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[…] Mise à jour du 6/02 : Comme l’écrit Arno, celui qui gagne dans ce genre de polémique, ce n’est pas celui qui a les plus beaux arguments, c’est celui qui parvient à imposer le sujet de la polémique. Mea culpa, je suis tombé dans le panneau. Mais comment faire ? Laisser de la place aux discours vaseux me semble aussi un problème. Mise à jour du 12/05 : À lire pour nourrir la réflexion, un intéressant article de l’archéologue et historien Jean-Paul Demoulle sur le mythe de la « France Éternelle » et un autre sur le sujet des migrations et des métissages. […]