Réforme de l’archéologie préventive : les débuts de la commission.

La commission dite « d’évaluation scientifique, économique et sociale de l’archéologie préventive » a été mise en place par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication le 5 octobre 2012. Son discours introductif est accessible à l’adresse suivante : http://www.archeologie.culture.gouv.fr/livre_blanc/doc_presse.html, où l’on trouvera aussi le communiqué de presse, la liste des membres de la commission, et la lettre de mission de la ministre adressée à notre collègue Dominique Garcia, vice-président du CNRA et qui préside cette commission.

Dans ce discours introductif, la ministre a rappelé, dans le prolongement de son discours de Saint-Rémy-de-Provence déjà évoqué ici, un certain nombre de principes essentiels : « Personne ne doit imaginer pouvoir réduire l’archéologie préventive à un simple marché de prestations commerciales au sein duquel il ne s’agirait que d’évoquer la formation de prix par la confrontation d’une offre et d’une demande. Un marché par ailleurs hautement improbable, cantonné dans son évolution non pas par les lois économiques classiques, mais par le seul intérêt scientifique et le nombre de prescriptions ». Elle également placé l’archéologie dans une perspective sociétale plus large, en invitant à dialoguer avec d’autres acteurs : « Je pense par exemple aux aménageurs, aux architectes, aux urbanistes, aux spécialistes du développement durable. En posant notamment la question de la ville dense ou de l’artificialisation des sols, ils vous rejoignent dans votre souci de préservation et de conservation du patrimoine archéologique ».

Enfin, anticipant le colloque organisé entre temps au Musée du Quai Branly par la Sous-direction de l’archéologie et le CNRS les 9-10 octobre derniers (http://www.quaibranly.fr/en/programmation/scientific-events/past-events/colloques-et-symposium/le-patrimoine-archeologique-et-son-droit.html) à propos du statut juridique du mobilier archéologique, la ministre a également suggéré à la commission que : « la question de l’unité de propriété de ce mobilier – et de son caractère public – mériterait d’être abordée ».

Axes et méthodes de travail

La lettre de mission de la ministre, adressée au président de la commission (cf. supra), proposait cinq principaux points à la commission :

– évaluer le rôle, les missions et la place de chacun des acteurs au sein du dispositif actuel et en particulier la pertinence de cette répartition des compétences et des responsabilités au regard de la nécessaire cohérence de la chaîne du traitement de l’information archéologique, puis de sa médiation en direct des publics,

– évaluer l’organisation actuelle de la prescription et ses rapports avec les orientations fixées par le Conseil national de la recherche archéologique,

– évaluer, au regard des enjeux de l’archéologie préventive, l’adaptation de l’offre de formations initiale et continue aux différents métiers, la répartition géographique des compétences, les opportunités de passerelles interinstitutionnelles,

– évaluer l’efficacité du dispositif au regard des résultats obtenus, de leur valorisation et de leur diffusion, ainsi que des délais de réalisation observés pour chacune des phases,

– évaluer l’adaptation du dispositif au regard des impératifs de gestion et conservation des vestiges mis au jour – sites et éléments mobiliers – et de la mission prioritaire de transmission aux générations futures du patrimoine archéologique dans les meilleures conditions de sincérité scientifique.

En fonction de ce programme, la commission doit remettre au début du mois de mars le résultat de ses travaux sous la forme d’un « Livre blanc » d’une trentaine de pages, et à l’issue de deux jours de réunion chaque mois (à savoir les 22-23 octobre, 12-13 novembre, 3-4 décembre, les dates ultérieures restant à définir). Elle auditionnera un certain nombre d’acteurs de l’archéologie, représentants des organisations syndicales, des élus, des aménageurs, etc.

Trois organisations syndicales représentatives, la CNT, Sud et la CGT, ont par ailleurs fait connaître, en tout ou partie, leurs positions et propositions, les deux premières l’ayant d’ailleurs exprimé ici même sur ce blog : http://jeanpauldemoule.wordpress.com/2012/09/17/vers-une-nouvelle-reforme-de-larcheologie-preventive/#comment-44 ; http://jeanpauldemoule.wordpress.com/2012/09/17/vers-une-nouvelle-reforme-de-larcheologie-preventive/#comment-44 ; pour la CGT : http://www.cgt-culture.fr/spip.php?article1614 ; et : http://www.cgt-culture.fr/IMG/pdf/2012_10_10_communique_SGPA_commission_livre_blanc.pdf

La commission a défini quatre axes, selon le programme proposé par la ministre, les groupes de travail correspondant aux trois premiers ayant déjà commencé leur tâche :

1) Les missions scientifiques, patrimoniales et sociétales de l’archéologie préventive

2) De l’acquisition des données au « rapport final de l’opération » et /ou à la publication (chaîne opératoire, délais…)

3) La carte archéologique, les enjeux de la programmation et le rôle des prescriptions

4) Rôle, missions et place des acteurs au sein du dispositif actuel ; les scénarios possibles pour l’avenir.

Composition de la commission : rappel

Dans sa composition actuelle, la commission comprend désormais 27 membres, qui sont, par institution :

– Conseil national de la recherche archéologique (conseil  présidé traditionnellement par le ou la ministre de la Culture) : son vice-président actuel, Dominique Garcia (professeur à Aix-Marseille, Institut universitaire de France, protohistorien) et deux de ses anciens vice-présidents : Michel Reddé (professeur à l’EPHE, antiquisant) et François Baratte (professeur à Paris IV, antiquisant) ;

– Inspection des patrimoines au Ministère de la Culture : Gérard Aubin (antiquisant), Elise Boucharlat (médiéviste) ; Inspection générale des affaires culturelles : Jérôme Bouêt ;

– Inspection des Finances : Véronique Hespel ;

– Inspection de l’Equipement : Michel Brodovitch ;

– Collège de France : Jean Pierre Brun (antiquisant, ancien directeur du Centre Jean Bérard à Naples) ;

– Inrap : Jean-Paul Jacob (président, antiquisant), Anne Augereau (directrice scientifique adjointe, protohistorienne), Laurence Bourguignon, préhistorienne), Françoise Bostyn (protohistorienne) ;

– CNRS : Henri Duday (directeur de recherche, anthropologue), Jean Chapelot (directeur de recherche émérite, médiéviste) ;

– Universités : Isabelle Cartron (professeur à Bordeaux 3, médiéviste), Jean-Paul Demoule (professeur à Paris I, Institut universitaire de France, protohistorien, ancien président de l’Inrap), Florent Hautefeuille (maître de conférence à Toulouse 2, médiéviste), Florence Journot (maître de conférence à Paris I, archéologie médiévale et moderne), Martial Monteil (maître de conférence à Nantes, antiquisant) ;

– Archéologues de collectivités territoriales : Anne Pariente (service de la ville de Lyon, antiquisante), Jean Luc Marcy (service départemental du Pas-de-Calais), Luc Bernard (communauté d’agglomération du Douaisis, ancien directeur d’Archéopole) ;

– Conservateurs régionaux de l’archéologie : Dany Barraud (Aquitaine, antiquisant), Murielle Leroy (Lorraine, antiquisante) ;

– Dirigeants d’entreprises commerciales privées d’archéologie : Frédéric Rossi (Archeodunum), Julien Denis (Eveha).

Nouveau financement de l’archéologie préventive

Comme la ministre l’avait  également annoncé en introduction de son discours, le système de financement de l’archéologie préventive doit être (enfin !) sérieusement consolidé à partir de 2013. Depuis la loi de 2003 en effet, ce système est double : il repose sur un « prix » pour les fouilles proprement dites dans le cadre d’une mise en concurrence commerciale, mais aussi sur une taxe, la « redevance d’archéologie préventive » (RAP) payée par un certains nombre d’aménageurs (que leur aménagement contienne ou non des vestiges archéologiques). Cette taxe a trois fonctions : abonder, à hauteur de 30%, le « Fond national pour l’archéologie préventive » (FNAP) ; financer les diagnostics réalisés par l’Inrap ou par les services archéologiques de collectivités territoriales volontaires ; enfin financer la recherche archéologique postérieure à la remise des rapports de fouille et effectuée, de par ses missions définies par la loi, par l’Inrap. Le FNAP lui-même est ce fond qui permet de payer les fouilles automatiquement prises en charge de par la loi (logements individuels et logements sociaux), et d’en subventionner d’autres (équipements publics dans des communes peu fortunées, par exemple). La notion de « logement individuel » avait été interprétée de manière large, sinon abusive : quand un promoteur immobilier construit plusieurs dizaines, voire centaines, de maisons individuelles dans un lotissement, vendues ensuite à des particuliers, la loi considérait que c’était autant de « particuliers construisant pour eux-mêmes » – une exemption obtenue par le lobbying efficace du puissant Syndicat national des aménageurs lotisseurs, souvent relayé par le ministère chargé de l’Equipement.

Jusqu’à présent cette taxe, instruite, suivant les types d’aménagements, par les services des DRAC ou par ceux des directions de l’Equipement, était structurellement déficitaire, ce qui permettait aux contempteurs de l’archéologie préventive, notamment parlementaires, de mettre l’Inrap en accusation perpétuelle, et obligeait le ministère de la culture à combler le déficit sur ses fonds propres au détriment du budget des autres établissements publics ou services – et au prix évidemment d’une grande impopularité de l’Inrap au sein de ce ministère. Jusqu’à présent, les nombreuses missions d’enquête, parlementaires, administratives ou ministérielles, s’étaient contentées, en matière budgétaire, de conseiller des « gains de productivité » et la « réduction du volume des prescriptions archéologiques ».

En 2011, une nouvelle mission de l’Inspection générale des Finances (IGF) a enfin fait son travail : composée cette fois, sinon pour la première fois, de techniciens fiscalistes, elle a entièrement recalculé la redevance afin d’obtenir le niveau que dix ans d’expérience montrait comme nécessaire, soit 122 millions d’euros – alors qu’elle n’en rapportait bon an mal an qu’environ quatre-vingt. Cette mission a proposé en particulier que la fouille sur des lotissements et des ZAC ne soit prise en charge par le FNAP qu’à hauteur de 50% de son coût pour les lotissements et les ZAC, et qu’à hauteur de 75% dans le cas de logements sociaux. Cette mesure, outre son aspect financier, contribue aussi à responsabiliser les aménageurs, en les incitant à modifier leurs projets pour en diminuer l’impact archéologique. Dans un premier temps, le précédent gouvernement avait donc proposé de suivre les préconisations de la mission de l’IGF à compter de 2012 (« trop beau pour être vrai », avait dit alors l’un de nos collègues). Mais la majorité parlementaire, en novembre 2011, refusa cette augmentation, dans la logique d’un acharnement qui ne s’est pas démenti depuis dix ans – l’archéologie préventive, répétons-le inlassablement, c’est environ un millième du budget du BTP en France, ou un dix-millième de notre PIB, ou encore trois euros par an et par Français(e).

Comme elle s’y était engagé d’emblée, et comme elle l’a confirmé lors de la mise en place de la commission, la ministre de la Culture a donc obtenu que soit mise en place à partir de 2013 cette augmentation à 122 millions d’euros de la RAP. Lors de la réunion de la commission du 22 octobre dernier, le sous-directeur de l’archéologie, Marc Drouet, a précisé cette mesure, que l’on doit particulièrement saluer dans le contexte actuel de « réduction des dépenses publiques » et du « choc de compétitivité » (en français : poursuite de la réduction des charges pesant sur le Capital). Un certain flou subsiste cependant sur le mode de gestion de la (modeste) part « recherche » de la RAP, gérée jusque-là directement par l’Inrap, dans le cadre de sa mission de recherche définie par la loi et via son Conseil scientifique, lui-même élu par l’ensemble de la communauté scientifique.

Ajoutons par ailleurs que la nouvelle majorité sénatoriale vient de rejeter les propositions du sénateur UMP Eric Doligé, issues de son rapport sur « la simplification des charges des collectivités territoriales », et qui entendaient entre autres alléger encore la législation archéologique et plafonner le coût des fouilles, voire le volume des fouilles elles-mêmes : http://www.senat.fr/rap/a12-026/a12-026.html#toc9

La commission au travail

La composition de la commission (deux seulement des signataires de « l’appel des archéologues », nettement au-dessous de la probabilité statistique) et son effectif considérable (« armée mexicaine » a-t-on dit), son calendrier étiré sur cinq mois (mais avec deux jours de réunion seulement par mois), avaient laissé certains de nos collègues sceptiques, sinon méfiants : voir par exemple le communiqué de la CGT mentionné plus haut. Ou pour le dire autrement, n’y avait-il pas contradiction entre la volonté politique manifeste de la ministre, dont la réforme réussie de la RAP était une preuve évidente, et le peu d’enthousiasme d’une haute administration marquée par dix années de pratiques sous le règne de l’ancienne majorité politique ? N’était-ce pas en particulier un symptôme supplémentaire de la petite guerre administrative stérile que mènent depuis dix ans contre l’Inrap certains agents de la sous-direction de l’archéologie, toujours en deuil de la défunte AFAN ?

Ce n’est pourtant pas l’impression qu’ont donné les trois premières journées de travail de la commission. La volonté concrète de ses membres d’opérer un diagnostic précis des défauts actuels du système et d’en proposer des remèdes, permet d’espérer un large consensus sur des points fondamentaux, tels que les destructions peu ou pas prises en compte actuellement (travaux agricoles et forestiers, travaux sur le bâti, mines, érosion marine, etc), la propriété publique du mobilier archéologique (cf. supra), ou encore la « maîtrise d’ouvrage » des fouilles préventives (choix de l’intervenant archéologique par l’Etat, sur des critères scientifiques, comme dans tout appel d’offre scientifique, et non plus par l’aménageur, sur des critères financiers).

L’engagement de la plus grande partie de notre communauté scientifique depuis des années pour le sauvetage de notre patrimoine archéologique et pour son exploitation scientifique et culturelle, est de toute façon la garantie que les travaux de la commission seront effectivement l’expression de cette volonté générale. Ces premières journées de travail permettent d’être raisonnablement optimiste.

3 Commentaire

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  • 26 novembre 2012 à 13 h 16 min

    Un promoteur immobilier privé m’a posté un commentaire, intéressant par ailleurs, se plaignant des coûts, des délais et d’une certaine opacité globale des procédures d’archéologie préventive, et se prononçant explicitement pour la taxe globale et la péréquation nationale telle qu’elle est proposée par le Syndicat SUD. Par principe toutefois, ces commentaires étant « modérés » comme on dit en franglais, je ne publie que les contributions signées. Le message provenant de « promoteurpascontent@onmarchesurlatete.com » (allusion probable aux « pigeons » du mois dernier qui ont su habilement préserver leurs bénéfices), avec une adresse IP masquée, je me vois au regret de ne pas publier ce commentaire. Je le ferai au contraire avec plaisir lorsqu’il sera signé.

  • 29 octobre 2012 à 14 h 34 min

    On peut en effet être modérément optimiste. En ce qui concerne le choix du terme « taxe » ou « redevance », il faudrait sortir de l’insécurité linguistique: même si le débat est toujours ouvert, il semble que ce n’est pas tout à fait la même chose. Nous sommes des archéologues. Il a et il y aura souvent des juristes en face de nous. Essayons d’être précis.

    • 29 octobre 2012 à 16 h 17 min
      En réponse à: Gutherz Xavier

      Il n’y a pas à ma connaissance de différence juridico-fiscale, sinon ontologique, entre « taxe » et « redevance », mais plutôt une différence esthétique, la « redevance » paraissant plus participative (voir d’ailleurs les divers forums internet sur cette question indécise). On considère souvent qu’une « redevance » devrait être plus proportionnelle au « service rendu » ; mais dans ce cas la « redevance télévisuelle » serait plutôt une « taxe ». Concernant la redevance archéologique version loi 2001,les juristes l’avaient plutôt considérée comme un « impôt de toute nature », troisième catégorie attestée possible : cf. Le livre dirigé par le regretté Pierre-Laurent Frier, « Le nouveau droit de l’archéologie préventive » (L’Harmattan 2004). Dans tous les cas, il est vrai que chacun doit rester dans son métier : c’est à nous, archéologues, de définir ce que nous voulons, ou ne voulons pas, d’un point de vue strictement scientifique. Et c’est aux juristes et aux fiscalistes d’en déduire les scénarios possibles – et aux politiques de trancher in fine. L’analyse de Bernard Pêcheur, à la base de la loi de 2001, avait permis de passer avec succès les contrôles successifs du Conseil d’Etat, du Conseil Constitutionnel et de la Commission de Bruxelles. De même, si la nouvelle RAP paraît mieux tenir la route, c’est parce que, pour la première fois, des fiscalistes ont travaillé sur le problème.

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